Chroniq’hebdo | De quelques livres, de la musique et de la vie des tortionnaires
Pierre Kobel
Je le répète souvent, il n’y a pas de hasard. Mais des surprises, oui ! Ainsi j’enchaîne de façon non préméditée la lecture de deux livres consacrés à l’écriture.
Le premier c’est le catalogue de l’exposition Écrire c’est dessiner consacrée au Centre Pompidou de Metz à l’œuvre et au parcours d’Etel Adnan, artiste américano-libanaise qui est décédée en novembre dernier à l’âge de 96 ans. Etel Adnan est une des plus importantes artistes de sa génération. Elle n’a cessé de par sa naissance, son histoire familiale, son parcours culturel, ses écrits et l’ensemble de son œuvre de traverser les pays, les langues et les expressions artistiques. Les exils, les voyages, les rencontres ont nourri son travail et lui ont permis d’assumer une destinée éprouvée. Reconnue tardivement, elle disparaît à l’heure où les expositions de ses œuvres se multiplient et mettent en exergue les parts mêlées de poésie, de philosophie, d’engagement et d’art visuel qu’elles contiennent.
Le deuxième livre, c’est le roman d’Ito Ogawa, La papeterie Tsubaki auquel se réfère le billet de notre amie Mireille, publié hier. Hakoto, jeune femme de vingt-cinq ans, devient écrivain public dans la lignée de sa grand-mère qui lui a légué une petite boutique de papeterie. Au fil des saisons, dans une atmosphère paisible et accueillante, Hakoto répond aux demandes diverses de ceux qui sollicitent ses talents. C’est une écriture codifiée pour une pratique sociale qui laisse peu de place à l’improvisation dans une société japonaise extrêmement ritualisée. Il y a dans ce roman un univers, celui des mots et en amont, celui du papier, de l’encre, des pinceaux qui ramène à une sagesse quand le monde s’agite et se perd autour de nous. Un roman délicieux.
Certes on peut l’appréhender comme très lointain de l’univers d’Etel Adnan, mais je veux voir une passerelle entre ces deux livres qui, chacun à leur façon, disent la puissance des mots, leur prégnance intellectuelle et sensorielle dans nos existences et l’humanisme qui en émane.
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J’ai lu par ailleurs le livre de Connie Palmen, Ton histoire Mon histoire. L’auteure donne la parole à Ted Hughes pour raconter son histoire avec Sylvia Plath. J’aime l’écriture de cette dernière, je l’ai plusieurs fois mise en ligne, encore cette semaine, mais je ne suis pas à l’aise avec sa personne. Sa bipolarité, sa jalousie extrême, son instabilité me tiennent à distance sans que je parvienne à éprouver véritablement de la compassion. Quant à Ted Hughes, le récit tel qu’il est présenté par Connie Palmen tend à le dédouaner de toute responsabilité de la mort de sa femme comme celle de sa seconde compagne six ans plus tard. Ted Hughes était un grand poète, mais pour le reste, il avait les faiblesses de beaucoup d’hommes, cette envie d’être fort, plus fort que les autres avant de se retrouver aussi démuni que tout un chacun.
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À la radio, Anne Quéffelec joue une transposition pour piano d’un air de Haendel. Je me laisse emporter par la musique, chemin de vie vers une autre lumière. J’ai passé la journée à écrire entre journal et blogs, articles pour l’APA. Un enseignant de Sciences Po me sollicite pour intervenir dans le cadre d’une journée d’étude sur la poésie contemporaine. Ma première réaction est de reculer, de ne pas oser, de ne pas me sentir à la hauteur, moi qui ne suis spécialiste de rien et qui n’ai aucun parcours universitaire. Et puis je me dis qu’il faut oser, qu’il faut aussi affirmer la légitimité d’une poésie des revues, de la petite édition, d’un quotidien engagé et qui vaut autant que celle des spécialistes qui parfois m’agacent du haut de leur savoir. Rien d’agressif en cela, juste l’envie de faire se rencontrer des cercles trop souvent fermés sur eux-mêmes. J’espère ne pas prendre le risque de me hausser du col.
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Réunion de notre groupe parisien de l’APA. Nous ne sommes que cinq, mais rien ne nous empêche d’échanger amicalement autour de Marguerite Yourcenar et autres lectures. J’aime ces modestes petits cénacles qui sont le terreau de plus grandes entreprises et permettent d’apprendre, d’échanger, de donner au plus près de l’humanité et en toute simplicité.
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J’apprends la condamnation à la prison à vie en Allemagne d’un colonel syrien pour crimes de guerre. Difficile de trop se réjouir qu’un tortionnaire de ce régime honni doive faire face à la justice quand on sait ce que Bachar el-Assad et ses séides continuent de pratiquer contre leur peuple sans que personne ne puisse intervenir pour des raisons géopolitiques qui justifient trop souvent la honte. Je pense toujours quand j’entends ce genre de nouvelles à mes amies poétesses syriennes qui pleurent sans cesse les drames vécus, l’exil subi et la mort de leurs amis dans les geôles de la terreur. L’une d’elles me racontait une manifestation étudiante au début des événements et ce qu’il en advint.
Une fleur et de l’eau
Pour Hala Mohammad
Ils ont une fleur dans une main
Et dans l’autre de l’eau
Leur fleur c’est de l’amour
Leur eau la fraîcheur de la vie
Ils avançaient
Ils sont couchés
Ils ont des trous rouges
Coquelicot au côté droit
Le ciel a brûlé
La terre s’est effacée
Les voix se sont tues
La ville pleure
Et demain
Ils seront là
Une fleur dans une main
Et dans l’autre de l’eau.
Internet
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Centre Pompidou – Metz | Exposition Écrire c’est dessiner
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Wikipédia | Sylvia Plath
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Wikipédia | Ted Hughes