Les travaux qui désorganisent le temps et l'espace
Mireille Podchlebnik
Pendant pratiquement six mois, mon esprit a été envahi par les travaux que j’ai fait réaliser dans ma maison et toute velléité de lecture et d’écriture aura été de ce fait bien contrariée, voire le plus souvent réduite à néant.
La décision de créer une pièce supplémentaire, qui donne directement vue sur mon jardin et éclaire l’espace date de quelques années et a été ravivée par la période de confinement. Après avoir concrétisé le projet avec l’aide d’un jeune ami architecte, il a fallu trouver une entreprise sérieuse pour faire le travail. Ce ne fut pas une mince affaire surtout en période Covid et post Covid et découragée par des recherches infructueuses, j’ai pensé à plusieurs reprises abandonner cette idée. Mais la crainte que la situation économique déjà incertaine ne s’aggrave, l’approche de la date de retraite définitive qui réduirait mes ressources et la découverte d’une entreprise ad hoc présentée par un ami m’ont finalement convaincue.
Le démarrage du chantier a eu lieu fin février, la semaine de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une date que je n’oublierai pas d’autant que la présence des ouvriers moldaves de l’entreprise a fait écho à cette actualité bouleversante.
Une première phase de démolition de l’ancienne véranda et de création d’un puisard au centre du jardin a été fortement anxiogène en raison de la transformation brutale de mon environnement familier en un vaste champ de bataille. Le doute m’a bien souvent assaillie : était-il vraiment raisonnable de me lancer dans un tel projet alors qu’une guerre était aux portes de l’Europe et que dès la première attaque la magnifique baie vitrée qui me coûtait les yeux de la tête allait voler en éclats ? N’était-il pas futile et égoïste de penser ainsi à mon confort de vie alors que tant de gens se trouvaient démunis ?
Mais le projet, une fois lancé, il aurait été vain de faire marche arrière.
Et c’est ainsi que durant une longue période allaient se succéder questionnement, incertitude, contrariété, attente, anxiété, énervement, déception et satisfaction aussi…
Le retard de livraison des matériaux, les décisions à prendre au jour le jour, les changements de perspectives qu’il a fallu réaliser en cours de chantier auront largement occupé mon esprit. Et, sachant qu’entre le projet et la réalité du terrain et du travail, les hiatus sont inévitables, il en a résulté certains accrochages entre architecte, maître d’œuvre, maître de l’ouvrage, chef de chantier… Les réunions de chantier auxquelles j’assistais me laissaient souvent de côté du moins au début, qu’est-ce qu’une femme pouvait comprendre à ce monde de machos ? Mais fort heureusement je me suis imposée avec mes questions parfois dérangeantes, le suivi fait au jour le jour qui a permis de corriger des erreurs de commandes ou de réalisation liées à une organisation très perfectible entre les différents acteurs !
Le portail qui grince au petit matin avec l’arrivée du camion qui entre dans mon espace aura rythmé ou plutôt complètement désorganisé mes journées. Je préparais rituellement un café pour les ouvriers avec qui les échanges étaient limités par la barrière de la langue, mais les gestes et Google traduction nous aurons parfois aidés. Les travaux m’obsédaient et j’observais les matériaux et l’avancée des constructions de façon très précise cherchant les informations, me renseignant au plus près et devenant peu à peu le maître d’ouvrage du chantier. Mes conversations étaient axées sur les isolants, la toiture, les gouttières, les ouvertures, le parquet, les champlats, les plinthes, les peintures, les branchements et les prises électriques, les marches intérieures et extérieures, le type de briques… mes rêves étaient peuplés de mots et techniques inconnues auxquelles je ne m’étais jamais intéressée jusque-là.
Le temps a passé, je n’ai pas profité du printemps et de mon jardin, ni vu arriver l’été, ni recevoir d’amis et encore moins garder une certaine sérénité.
Dans le jardin se cachent encore mégots, particules de polystyrène, vis, clous, morceaux de cutter, emballages divers, etc. enfin toute une vie de chantier.
J’ouvre progressivement les yeux après des journées de rangement et de nettoyage, aidée ces derniers jours par ma sœur.
J’ai lu quelques nouvelles de l’APA, des journées à Ambérieu, du festival de Sète, des vacances de certains d’entre vous…
Le chantier, heureusement pratiquement terminé, est en pause pour le mois d’août et me laisse le temps aujourd’hui d’écrire ce texte.