Chroniq’hebdo | De l’IA, des archives et de la mémoire, de Hugo Pratt
Pierre Kobel
Les médias et la sphère des nouvelles technologies en font tous leur gorge chaude ! Une société informatique a réussi à construire une application qui est un robot conversationnel, ChatGPT, capable de rédiger à la demande un texte sur la plupart des sujets. Si le programme n’est pas sans défauts, il constitue une avancée marquante dans son domaine et bluffe ses utilisateurs. En quelques secondes, grâce à l’intelligence artificielle et aux algorithmes dont il est nourri, il répond à toute demande en quelques secondes avec pertinence. Faut-il se laisser impressionner plus avant ? Certes non, c’est du moins mon opinion. Évidemment ce genre d’avancée technologique fait craindre qu’elle soit utilisée pour remplacer certains professionnels dans le monde du commerce ou du journalisme. Des étudiants s’en servent pour rédiger leurs exercices et autres mémoires ! Mais à bien y penser, qui a construit cet outil, qui lui a donné les moyens de ses performances si ce n’est l’homme lui-même ? Je n’ai aucune illusion sur le remplacement de ce dernier par les machines. Ceux qui trouvent leurs bénéfices à cela poussent dans ce sens. Face à eux, que pouvons-nous ?
Pourrions-nous imaginer que les presque 600 billets que nous avons écrits dans ces pages depuis novembre 2020 soient écrits par une application plutôt que par nous ? Pour ma part je ne saurais me passer du plaisir de me retrouver à ma table de travail, le stylo à la main, le carnet ouvert sur une page vierge avec l’envie d’écrire, de jouer avec les mots, de traduire mes pensées, de créer et je ne laisserais pour rien cela à un robot !
Donc c’est avec mes mots, chers contributeurs et chers lecteurs de ce blog que je vous souhaite une année 2023 riche de textes, de lectures, de partages et de découvertes.
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Entre Noël et ce Jour de l’an, nous avons passé plusieurs jours à la campagne. Occasion de se reposer, mais aussi de voyager dans l’histoire de la maison de mes parents tant que je peux encore y séjourner. Je trie le contenu d’une boîte de cartes postales. Si la plupart sont des envois banaux de périodes de vacances adressées à mes parents, quelques-unes sont très anciennes et relèvent d’échanges avec mes grands-parents. Certaines datent d’il y a plus de cent ans. J’ai retrouvé aussi quelques cartes de ma main ou qui m’étaient adressées. Étrange voyage dans le temps. Répétitif et sans surprises. Juste de l’émotion quand est soulignée une disparition, une maladie. Vie ordinaire de gens dont l’existence fut banale et quasi linéaire quand parfois j’aurais aimé quelques anecdotes sortant de l’ordinaire, quelques allusions à des personnes méconnues. Pas de quoi alimenter l’histoire familiale. Je fais cela alors que nous nous apprêtons à lancer une nouvelle collecte pour Grains de sel, Souvenirs de nos aïeux. Aurai-je à écrire à propos des miens ?
J’ai entrepris aussi de trier le contenu de quelques cartons qui m’appartiennent et restaient stockés dans le grenier à foin depuis de très nombreuses années. Mélange de revues de ma jeunesse, J2 jeune, Tout l’univers, de livres relevant de mon métier d’instituteur ou d’une littérature qui ne m’intéresse plus depuis longtemps, de cours de mes années de lycée que j’ai conservés jusqu’à maintenant. Tout cela représente une part de mon passé dont j’ai toujours des scrupules à me débarrasser. Mais quelle mémoire représentent ces ouvrages, ces paperasses à être ainsi remisés sans que je m’en préoccupe jamais depuis si longtemps ? La vraie mémoire est ailleurs, elle est dans l’écriture, dans ce journal, dans les souvenirs que j’ai.
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J’ai lu un livre consacré à Hugo Pratt, à sa vie, à son parcours qui fut exceptionnel et singulier, Le désir d’être inutile. J’ai terminé ces entretiens sans savoir où est la frontière entre la réalité de ce qu’il a raconté et la part de fiction. Peut-on vivre une telle existence sans en inventer, du moins en réinventer, une partie ? Je n’ai jamais été l’aventurier qu’il fut, je ne le serai jamais, mais je me retrouve dans nombre de ses convictions, dans nombre de ses propos, dans sa liberté et son anticonformisme.
Et je termine cette chronique avec une prière d’Aimé Césaire dans le Cahier d’un retour au pays natal.
donnez-moi la foi sauvage du sorcier
donnez à mes mains puissance de modeler
donnez à mon âme la trempe de l’épée
je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue
et de moi-même, mon cœur, ne faites ni un père, ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.
Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
comme le poing à l’allongée du bras !
Faites-moi commissaire de son sang
faites-moi dépositaire de son ressentiment
faites de moi un homme de terminaison
faites de moi un homme d’initiation
faites de moi un homme de recueillement
mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement
faites de moi l’exécuteur de ces œuvres hautes
voici le temps de se ceindre les reins comme
un vaillant homme —
Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi
de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine
pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race
vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des
autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la soif universelle
la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits. […]
Internet
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Wikipédia | Hugo Pratt
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Babelio | Le désir d’être inutile