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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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24 janvier 2024

L’hiver finit le 21 janvier

Marie-Françoise Després-Lemarchand

20240124gds-mots-mfdesplem_lhiver_finit_le_21_janvier      L’hiver finit le 21 janvier... une évidence que je m’étonne de voir si peu partagée.

Ce jour-là, - Louis XVI perd la tête, certes, mais là, n’est pas le propos ! -, ce jour-là, Agnès fêtait son anniversaire et nous étions, « filles de sa classe », conviées dans la vaste maison qui fleurait bon la cire et les visitandines. Tout y était délicieusement insolite – les jus de raisin en petites bouteilles quand nous buvions chez nous de l’eau ou des sodas en bouteille d’un litre, les plateaux de petits fours aux amandes cuits dans de délicats moules en papier, les boiseries aux chauds reflets, la crèche immense qui couvrait encore à ce moment-là tout un pan du salon du premier. La femme de ménage aussi, qui passait parfois avec chiffon et balai autour de la table où nous faisions figure de petites filles gâtées (je me souviens de mon malaise alors, vif quoique indicible – quelque chose clochait : une femme d’âge mûr agenouillée sur le plancher pendant qu’en petites ados gâtées nous bavardions allégrement autour de la table du goûter...) J’étais, je crois, l’amie préférée, j’avais droit à des surnoms affectueux, des lettres enflammées si je m’égarais en d’autres amitiés ! Avec mes jeans pat d’éph’, ma coupe au carré et une relative impertinence j’étais, oui, bizarrement l’élue de cette copine surdouée et je m’en donnais à cœur joie, faisant le pitre, animant les après-midis d’imitations diverses (j’excellais tour à tour en Claude François et « claudettes » dans une voltige de genre totalement assumée !) Bref- c’était et c’est à jamais tout cela le 21 janvier...

Mais surtout ce jour marquait un passage absolu dans l’année. Nous quittions la maison d’Agnès en fin d’après-midi, non sans avoir remercié nos hôtes en ados intrépides mais bien élevées. Cinq heures et demi, six peut-être... et là une vérité cosmique éclatait : il faisait jour encore ! Je repartais par le jardin de l’évêché. Les arbres nus disaient pourtant l’hiver, et les ciels brumeux parfois dont la beauté mélancolique me faisait (très « verlainienne » alors !) chavirer. Mais la nuit n’était pas tombée, on n’avait pas encore allumé les réverbères, on pouvait deviner, côté ouest, « mon côté », la ligne marine qui s’esquissait... Cela avait pour moi un parfum déchirant de : « Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine... » (très Laforgue aussi !) mais en perspective inversée : il faudrait attendre de longs mois pour que la magie d’hiver revienne, pour qu’on se pelotonne au chaud des maisons allumées, pour qu’on s’engouffre dans l’exquis frémissement de l’attente de Noël...

L’amie avait désormais, malgré ses « deux ans d’avance », un an de plus. Noël était bien loin, les jours rallongeraient inexorablement, il faudrait sans doute attendre un an encore pour manger d’autres visitandines... Révélation tragique de la fuite du temps sur le jour étiré...

L’amie a disparu et je n’ai plus 12 ans. A six heures ce dimanche, des nuages filent dans le ciel jaune et gris. Je ne redoute plus les lendemains de fête. Peut-être même – signe d’indéniable vieillissement – suis-je plus encline désormais à guetter le frémissement d’un proche printemps sur les bosquets en dégel, et à m’en réjouir aussi...

Ainsi va... – trop rapide ? trop fugace ? trop mouvant ?... trop ?...

En contrepoint alors, les images suspendues de « Perfect days », le bijou méditatif de Wim Wenders et un poème de Rilke, dégusté avec les petits déj’ de janvier :

« Les empressés nous sommes.
Mais la marche du temps,
tenez-la comme rien
au sein du permanent toujours. 

Tout ce qui est vitesse
Ne sera que déjà passé ;
Car c’est ce qui séjourne
Qui seul nous initie.

Jeunesse, oh ! ne le jette pas
Ton cœur dans la rapidité,
Pas aux tentatives du vol.

L’obscur et la clarté,
la fleur comme le livre :
Tout est repos. »

 Rainer Maria Rilke, Les sonnets à Orphée, trad. Armel Guerne, © Seuil, 1972 vol 2 p. 391

 

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N
Quelle joie de lire ton texte, dégustation grâce à toi avec mon p'tit déj de janvier. Merci
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