Le puits

15 juillet 2021

Anne-Marie Krebs

L’appel à textes de Pierre, lu ce matin, me réveille de ma procrastination… J’ai, comme Mireille, « des textes élaborés et jamais terminés »… quelques mots jetés en vitesse, enregistrés et abandonnés… Il faut dire qu’ici, à Aix, en ce début d’été il est difficile de trouver le temps et surtout l’énergie pour écrire : les soirées à l’opéra ou autres concerts, les dîners pique-nique à la fraîche avec les amis… le cagnard le reste du temps et on laisse filer les jours.

Merci à Pierre de me réveiller ; je reprends donc un billet sur Zola et Aix commencé voilà plusieurs semaines et qui a bien failli n’être jamais terminé.

Durant le dernier léger confinement du printemps dernier, nous n’avions pas le droit de nous éloigner de plus de 10 km de chez nous et de sortir à plus de 6 personnes. Or je fais partie d’un groupe de randonneurs et nous faisons une sortie tous les 15 jours ; devant ces contraintes, certains ont proposé des balades urbaines sur un thème, à faire en petits groupes. J’en ai proposé une sur Zola qui, s’il n’est pas à proprement parlé un aixois, a passé son enfance et son adolescence à Aix. Il a vécu, avec ses parents d’abord, puis seul avec sa mère dans de très nombreux endroits de la ville, il a fait ses études au collège Bourbon (lycée Mignet), où il a eu Paul Cézanne pour copain…

Il s’agissait d’abord de parcourir Aix en cherchant les très nombreux lieux habités par la famille Zola. Mais ensuite, le plus intéressant était de voir comment Zola a utilisé Aix, le berceau des Rougon-Maquart qu’il appelle Plassans, dans ses romans et comment il transforme à la fois la toponymie et la situation géographique de la ville.

Or un de mes amis randonneurs me dit qu’il connaissait le monsieur, un architecte, qui habite 6 traverse Silvacane, une grande maison avec jardin où la famille Zola s’était installée en septembre 1843 et où Émile a vécu avec sa mère jusqu’en 1852, après le décès de son père en 1847. J’avais très envie de voir cette maison qui a sans doute servi de modèle à celle de Tante Dide dans La Fortune des Rougon.

Le propriétaire m’a fait attendre son accord, il craignait, je pense, de me voir débarquer avec un groupe, car il m’a dit être très sollicité pour ouvrir sa maison à des visites guidées.

J’ai été très émue de voir cette jolie maison où le petit Émile avait joué enfant, où il avait vécu le drame de la mort de son père, pendant la construction du barrage qui porte son nom et connu ensuite avec sa mère les difficultés financières qui les ont obligés à déménager. Mais ce qui m’a le plus touché, c’est le puits mitoyen entre deux jardins, ce puits de chaque côté duquel dans La Fortune des Rougon, Silvère et Miette se retrouvent tous les jours et échangent leurs premiers serments d’amour :

« Le puits mitoyen était un grand puits très peu profond. De chaque côté du mur, les margelles s’arrondissaient en un large demi-cercle[…] Un matin, de fort bonne heure, Silvère, en venant tirer la provision d’eau[…] eut un tressaillement. Au fond du puits, il avait cru distinguer une tête de jeune fille qui le regardait en souriant… »

Cette jeune fille c’était Miette qui va rejoindre avec lui l’insurrection de décembre 1851 où ils vont tous les deux trouver la mort.

Nous n’avons pas pu essayer l’acoustique du puits, car les voisins n’étaient pas là pour nous permettre d’accéder à l’autre côté, mais mon hôte m’assura qu’on se comprenait très bien en se parlant de chaque côté, par contre le reflet des visages n’est pas du tout évident, c’est le lyrisme de Zola qui l’a fantasmé.

Émile avait 12 ans quand il a quitté cette maison, y est-il revenu ensuite ? Rien n’est moins sûr. Mais il est clair que ce puits était resté dans son imaginaire et à la trentaine, il l’a placé tout au début de sa grande saga des Rougon-Macquart… Je me plais à lui imaginer une petite amoureuse avec laquelle il a peut-être conversé de part et d’autre de ce puits…

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