La plus secrète mémoire des hommes
Catherine Bierling
Voici quelque temps déjà que je me dis que je devrais reprendre mes contributions au blog d’une manière plus régulière, mais mes bonnes intentions ont été à nouveau contrecarrées par le Covid, après deux ans et demi d’héroïque résistance, bien vaccinée, prudente à l’excès, rien ne sert de courir, il a fini par nous rattraper… et l’activité intellectuelle ou créatrice est momentanément réduite à pas grand-chose.
Alors j’ai recherché dans mon journal un extrait du livre de Mohammed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes que j’avais lu au printemps dernier. J’avais pu aussi suivre par zoom sa conférence à l’Alliance Française de Paris, dans le cadre de leur série « en français dans le texte ».
Je vous livre donc cet extrait à propos de la créativité qui me fait défaut en ce moment.
« Je t’obligerai à me regarder dans les yeux, je serai écrivain ! Mais vient toujours ce terrible moment sur le chemin, en pleine nuit, où une voix résonne et vous frappe comme la foudre ; et elle vous révèle ou vous rappelle que la volonté ne suffit pas, que le talent ne suffit pas, que l’ambition ne suffit pas, qu’avoir une belle plume ne suffit pas, qu’avoir beaucoup lu ne suffit pas, qu’être célèbre ne suffit pas, que posséder une vaste culture ne suffit pas, qu’être sage ne suffit pas, que l’engagement ne suffit pas, que la patience ne suffit pas, que s’enivrer de vie pure ne suffit pas, que s’écarter de la vie ne suffit pas, que croire en ses rêves ne suffit pas, que désosser le réel ne suffit pas, que l’intelligence ne suffit pas, qu’émouvoir ne suffit pas, que la stratégie ne suffit pas, que la communication ne suffit pas, que même avoir des choses à dire ne suffit pas, non plus que ne suffit le travail acharné ; et la voix dit encore que tout cela peut être, et est souvent une condition, un avantage, un attribut, une force, certes, mais la voix ajoute qu’essentiellement aucune de ces qualités ne suffit jamais lorsqu’il est question de littérature, puisque écrire exige toujours autre chose, autre chose, autre chose. Puis la voix se tait et vous laisse dans la solitude, sur le chemin, avec l’écho d’autre chose qui roule et s’enfuit, autre chose devant vous, écrire exige toujours autre chose dans cette nuit sans certitude d’aube. »
Une telle exigence peut paraître démesurée et décourager toute tentative d’écriture…
À l’époque, j’avais ajouté mes réflexions :
Alors, pourquoi écrire ?
C’est quoi « la » littérature ?
C’est quoi un poème ?
Je ne cherche pas « la » littérature. Écrire répond simplement à une nécessité intérieure comme le disait un de mes amis : autant demander à l’écureuil pourquoi il grimpe à l’arbre.
Nous écrivons, peignons, chantons, dansons parce que nous avons une voix, des mains, un corps, des sens.
Ce sont sans doute les activités humaines qui font le moins de mal. Mais pour la plupart d’entre nous qui ne sommes pas des génies, il est important de le reconnaître et de ne pas se prendre trop au sérieux sans pour autant abandonner la partie. Car comme l’écureuil possède agilité et légèreté pour grimper aux arbres, nous possédons ce besoin incoercible de dire, d’exprimer ce que nous sommes, ce que nous croyons être, ce que nous percevons du monde. Et notre étonnement sans borne d’être de ce monde, pour un moment furtif, tôt éteint. Un clignement de paupière. Propulsés un jour depuis les ténèbres vers la lumière, et retournant vers les ténèbres à la vitesse de la lumière. C’est cela, beaucoup et pas grand-chose, face à l’immensité de l’univers que nous ne comprendrons sans doute jamais tout à fait. Mais cela donne un peu de sens à nos trois petites secondes d’éternité…
Ce roman donne beaucoup à réfléchir !
Internet
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Wikipédia | La plus secrète mémoire des hommes
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Wikipédia | Mohamed Mbougar Sarr