Chroniq’hebdo | De Grains de sel, Robert Desnos, Anne Barbusse, des tribunaux médiatiques, de Jean-Claude Carrière
Pierre Kobel
Les affaires reprennent ! Je m’en amuse, mais quel plaisir de retrouver mes amis de la poésie, de l’APA, et d’échanger de nouveau, de lire des textes, d’avancer des projets pour les mois à venir !
L’été est fini ? Basta ! Tournons la page. C’est toute l’année l’été des livres, des mots, de ce qui nous tient et comme le dit la romancière Gaëlle Josse : « J’aime l’idée qu’un livre soit plus grand que moi, et surtout je l’espère. »
J’y pensais en lisant un roman publié très récemment, Dans bien longtemps, tu m’as aimé de Yann Verdo. Le narrateur y fait se croiser une histoire d’amour personnelle, brève, intense et à la fin douloureuse avec une revisite de l’existence de Robert Desnos. L’histoire commence et se termine au cimetière Montparnasse sur la tombe de Desnos. L’auteur explique la présence d’une bouée de sauvetage sur cette pierre.
« Vous mettrez sur ma tombe une bouée de sauvetage.
J’étais devant cette tombe ces jours derniers. Je suis allé au cimetière Montparnasse faire des photos. Et je n’y vais jamais sans m’arrêter à la tombe de Desnos. Quelle est cette attraction que j’éprouve pour lui ? Il aurait eu l’âge d’être mon grand-père, mais je le perçois autrement, entre copain et grand frère.
Je le lis pour l’enthousiasme de sa plume, pour sa curiosité, sa pulsion de vie. Je pense à sa foi inextinguible qui assure sa notoriété au-delà de la mort. Il faudrait savoir ne tenir compte que de son enthousiasme et de sa volonté.
Comment renoncer à se battre, à vouloir embrasser le monde après l’avoir lu ? Et je le lis sans arrêt.
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J’ai terminé le deuxième volet du journal psychiatrique d’Anne Barbusse, Les accouchantes nues. J’y trouve ces lignes :
« Je vis dans un monde qui n’est pas le monde
j’organise mes journées dans le
déni total du monde vrai
le manger le dormir l’amour dans
l’espace clos d’un hôpital qui accueille
et tous les sourires qui ne sont que d’ici pour ici
je vis dans la seule acceptation de la vie protégée
je suis l’effroi du dehors je ne veux pas sortir car
les mondes sont féroces ».
À la lire, j’en viens parfois à me demander quelle part de folie a chacun au fond de soi et quel ressort peut nous faire sortir un jour de la route trop droite que nous suivons par habitude, par éducation, par soumission et par facilité.
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Deux réunions m’ont permis de retrouver le champ des activités de l’APA. L’une d’elles réunit un groupe de travail qui prépare une table ronde future. Nous échangeons et la conversation en vient à évoquer la dénonciation que la responsable politique Sandrine Rousseau a faite publiquement de la vie privée d’un de ses collègues sans que par ailleurs aucune procédure judiciaire ait été engagée pour ce qui jusque là relève de la vie privée. Certes il y a encore beaucoup à dire de nos sociétés encore trop souvent sous une gouvernance masculine abusive et exclusive. Il y a à condamner sans hésiter les violences conjugales et familiales. Mais avec quel tribunal ? Je m’exaspère parfois de la lenteur de la justice, de ses rituels et de sa machinerie et cependant je la préférerai toujours au tribunal médiatique et à celui des réseaux sociaux qui s’enflamment sans règles et sans autre but que de faire du raffut le plus possible. Chacun s’y fait juge sans aucune légitimité. C’est la loi de la jungle et de la vindicte publique.
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Au moment de terminer cette chronique, je ne peux manquer d’évoquer le film que je suis allé voir ce matin, L’ombre de Goya un documentaire de José Luis Lopez-Linares dont le scénariste et le principal intervenant fut Jean-Claude Carrière. Cet homme-là ne cessera jamais, même au-delà de sa disparition de me fasciner. Il est un de mes intellectuels modèles, alliant une curiosité insatiable à une créativité permanente, conscient de ses qualités sans jamais en jouer avec ostentation, faisant se rencontrer le réel et l’imaginaire, les grands et les petits, toujours en quête de ce qu’il y a derrière les apparences, de ce que masque la lumière quand elle aveugle. Pas étonnant que Goya ait été une de ses références majeures, lui dont l’œuvre fait preuve des mêmes qualités et ne s’est jamais arrêté à un repos trompeur malgré le RIP gravé sur sa tombe.
Internet
- Wikipédia | Jean-Claude Carrière
- Wikipédia | Francisco Goya
- Allociné | L’ombre de Goya