Pourquoi Camus
Olivier Maret
Ai-je lu La Peste au collège ou au lycée ?
En tout cas, ce fut une lecture marquante, fascinante, dérangeante qui m’ouvrait un monde solaire et tragique, bien au-delà de mon univers familial. Un monde d’hommes, de héros, d’idéaux, dans le combat contre une épidémie, métaphore des années terrifiantes qui précédèrent ma naissance, en 1963.
Je suis né dans un monde en reconstruction, oublieux du terrible passé à peine refermé et persuadé de préparer un avenir radieux.
Camus, le résistant.
Camus, l’Algérois.
Il réunit, dans ma mythologie personnelle, les souffrances que mes parents, trop jeunes durant l’Occupation, n’avaient fait que frôler, et le traumatisme que mon père, malade au moment d’être appelé en Algérie, avait évité. Né déjà dans un autre monde, je me souviens pourtant qu’une camarade d’école maternelle racontait que son père arrachait les ongles.
Les hommes à peine plus âgés que mes parents n’étaient pas seulement des employés et des entrepreneurs, ils pouvaient être des héros ou des salauds. Ils pouvaient être confrontés au choix tragique entre « leur mère » et « la justice », ils pouvaient être happés par l’histoire et écartelés entre les camps en lutte.
Et ils pouvaient écrire.
J’ai longtemps conservé dans ma bibliothèque un exemplaire du Premier homme, dans l’édition France Loisirs, offert par ma mère, deux indices qui ne m’incitaient pas à une lecture urgente.
Quand je finis par l’ouvrir, je fus happé par l’écriture lyrique, intense comme un torrent cru, délivrant le récit de la vie des ancêtres de Camus et de son enfance algéroise. Le romancier s’était affranchi de son ambition philosophique et était devenu un écrivain laissant courir sa plume de géant. L’épopée tragique de l’Algérie colonisée me sautait au visage.
Et cette histoire rejoignait mon présent. Aucun lien familial ne m’unit à l’Algérie. Mais je côtoyais des travailleurs immigrés, des « maghrébins », chaque jour dans l’autobus. Et mon père employait des « manœuvres » le dimanche dans notre maison de campagne. Camus était pour moi le versant littéraire de cet ailleurs familier, présent dans nos rues et sur nos chantiers.
L'Algérie ne m'est pas un pays étranger. Mais je n'ai pas encore fait le voyage qui me hante depuis l'enfance.
Un jour j'irai m'incliner sur les lieux de ce terrible passé dont je porte la honte et me rafraîchir à la source de l'émerveillement par les mots.
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