Naître, vivre et mourir ou, plus concret, enfance, jeunesse, maturité, vieillesse et...
Annie Dargent Bertholet
L’enfance je l’ai longuement conté dans un récit Le temps d’avant mettant en scène ma famille et mon époque. Je l’ai pleinement vécue, elle m’a permis de me construire une personnalité, d’affronter le basculement brutal dans la vie d’adulte et de tenir contre vents et marées, ma vie entre mains, parfois fermement parfois faiblement. La cinquantaine est arrivée, la maladie s’est installée sournoisement et j’ai eu l’impression de sombrer sans préavis dans la vieillesse.
Que n’a-t-il pas été écrit sur la vieillesse !
Je retiendrai volontiers les mots de Don Diègue : « Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! » J’aime le propos de Benoîte Groult : « La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop tôt ». J’ai un faible pour le proverbe allemand : « Trois choses entrent dans une maison sans se faire annoncer : les dettes, la vieillesse et la mort. »
Ma première rencontre avec la vieillesse c’est la découverte de mon arrière-grand-mère, j’avais six ans, elle en avait plus de quatre-vingts. Dans les années cinquante on était très très vieux à cet âge, elle me faisait penser à la fée Carabosse, j’en avais un peu peur ! Puis ce sont mes grands-parents que j’ai vus vieillir et disparaître. Enfin, ordre logique des choses, ce fut le tour de mon père, de ma mère...
Mon père a eu, à la réflexion, une vieillesse sereine. Conscient des années accumulées, il a abandonné sa bicyclette, puis ralenti son pas, classé ses papiers... Un AVC, une semaine de réanimation, deux de soins intensifs, il est enfin parti. Ma mère, de sept ans sa cadette, atteinte de démence sénile dans la toute dernière année de sa vie, lui a péniblement survécu. Une surveillance de tous les instants lui étant devenue indispensable c’est dans un Ehpad de la grande banlieue lyonnaise qu’elle s’est éteinte au mitan d’une nuit.
De nos jours, il est de bon ton de dire que la vieillesse est une vue de l’esprit, qu’elle réside dans la tête mais en réalité ELLE arrive bien plus tôt qu’on ne le pense et tous les faux jetons qui veulent vous le faire croire sont des menteurs. Ils sont jeunes ! Elle se tapit de partout, dans les mouvements qui se ralentissent, dans la mémoire qui flanche, dans les gestes qui deviennent maladroits, la vue qui baisse, l’ouïe qui mollit dans les aigus, le goût qui se dégrade, l’équilibre qui chancelle, les rides qui se creusent chaque jour un peu plus, sans parler des articulations rouillées, du souffle court, de la sensibilité au froid, ... Chaque jour ELLE avance à peine cachée et même si l’époque veut la faire oublier elle est bien présente à chaque minute du quotidien. Elle s’installe incognito, rouille nos articulations, attaque nos cristallins, dessèche notre peau, strie nos ongles, déchausse nos dents... Puis un beau matin, au lever une lourdeur nouvelle apparaît, une presque douleur ici ou là se fait sentir, la vieillesse est là. On résiste un peu mais la lutte est inégale, petit à petit notre vue baisse, nos yeux se voilent, nos oreilles résistent, nos genoux craquent, notre dos se voûte... C’est la mise en liquidation du fonds de commerce avant faillite.
Les spécialistes s’accordent pour dire que c’est un phénomène progressif qui s’enclenche certes depuis la naissance mais surtout à l’aube de la cinquantaine. La société, elle, a peur des mots, il n’y a plus de vieux, plus de vieillards mais des seniors, des aînés, des personnes âgées. Les ravages du temps se feraient sentir plus tôt si le rythme de la vie ne masquait pas cette atteinte irréversible. A cinquante ans, on peut continuer à vivre à deux cents à l’heure mais il faut se ménager des pauses. Puis les pauses s’allongent alors il faut réduire la vitesse. Arrive la septantaine, alors un seuil est franchi, force est de le constater. Au delà je ne sais pas, et ne suis pas trop pressée de savoir ! Certes j’ai vu mes parents devenir octogénaires et je m’en fais hélas quelque idée. J’ai vu et entendu des célébrités, de grands intellectuels dont l’esprit vif est souligné par tous mais quelle tristesse au souvenir de leur brio de jadis...
Mais qu’est-ce que la vieillesse ? Vivre replié sur soi-même, ne plus avoir d’avenir, se répéter « à quoi bon et pourquoi faire », ne plus avoir d’envie, constater chaque matin que le jour qui naît sera identique à hier et sûrement à demain...
Voilà j’ai trouvé ma définition : la vieillesse, c’est la faillite d’un corps où l’esprit, heureusement, regimbe longtemps !
Que dire de plus ?
Peut-être laisser les derniers mots à Jacques Brel et aux paroles d’une chanson qui dit oui, qui dit non et puis qui nous attend…
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Wikipédia | Jacques Brel, Les vieux