Carte postale du Transvaal
Malcolm
Pâques 1956. Je n’ai même pas encore cinq ans. Pendant les vacances scolaires, 7-8 mois après notre rocambolesque « évasion » d’Écosse, Maman avait décidé d’y retourner pour rencontrer son avocat et régler quelques « petits » problèmes matériels (au risque de s’y trouver, en droit britannique, arrêtée au « chef d’abandon de domicile conjugal et… kidnapping d’enfants » !). Elle nous avait confié, mon petit frère, mes deux sœurs et moi, à notre grand-mère Mamine (nous vivions alors chez elle, à Clamart), qui nous avait emmenés passer ces vacances de Pâques chez son frère et sa belle-sœur, l’oncle Raymond et la tante Jacqueline, au Transvaal.
Comment ça au Transvaal ? En Afrique du Sud ?
Non, non, beaucoup moins loin. Seulement dans l’Yonne ! Le Transvaal, c’est un lieu-dit, à proximité du hameau de Ruban, dans les bois de Cézy. L’endroit, et son nom (parfois francisé – pathologie bien française ! - en « Transval ») m’ont toujours fasciné. J’ai l’impression (et le souvenir totalement fantasmé) d’y avoir vécu, alors que je n’y ai véritablement séjourné que quelques jours pendant ces fameuses vacances en 1956. J’y suis retourné, ponctuellement, dans les années qui suivirent ce séjour, mais sans y habiter et je ne pourrais en aucun cas prétendre y avoir réellement vécu. Je m’y suis aussi rendu « en pèlerinage » à différentes reprises, des années plus tard, tant mon attirance pour cet endroit et cette maison improbable, un peu mystérieuse, est restée intacte, irrésistible. Mon oncle Raymond, invalide de la guerre de 14-18, y avait trouvé de 1948 à 1957 un job de garde-chasse dans une vaste propriété forestière privée appartenant à un certain Maurice B., un pharmacien parisien. Avec Tante Jacqueline, ils habitaient le « chalet », et c’est là que nous avions passé ces vacances.
Il y a quelques jours (à la jolie chaleur de ce début de mois de septembre…), j’ai profité de ma randonnée « de convalescence » (après mes déboires vertébraux de l’année écoulée…), une cinquantaine de kilomètres en trois jours en suivant le cours de l’Yonne d’Auxerre à Saint-Julien-du-Sault, pour retourner une fois de plus (en voiture, en dehors de ma marche) au Transvaal. Le hasard (?) a voulu que j’y rencontre le propriétaire des lieux (il n’y vit qu’à mi-temps), Patrick B., petit-fils (âgé de 77 ans) de l’employeur de mon oncle… Après les présentations (il était visiblement enchanté de mon attachement sentimental à l’endroit), il m’a apporté quelques informations qui m’ont permis de corriger certaines erreurs manifestes du « récit familial », tel que je l’avais retenu (et peut-être déformé malgré moi).
Non, contrairement à ce que je croyais avoir entendu dire jusqu’à présent, ce n’était pas son grand-père qui avait vécu en Afrique du Sud et fait construire cet étrange « chalet » sur le modèle des maisons coloniales du Transvaal (en baptisant du même coup les lieux de ce nom exotique), ni encore moins lui qui avait fait élever (en 1933, c’est écrit dessus) cet immense et extravagant monument (« à la mémoire de mes chiens fidèles et dévoués, souvenir ému et reconnaissant » !), ni lui non plus qui reposait dans cette austère, mais imposante tombe solitaire perdue au milieu de champs cultivés (monument et tombe figurent sur la carte IGN au 1/25000 ème). Non, tout ça c’était le fait de l’ancien propriétaire du Transvaal, un aristocrate huguenot (dont il m’a donné le nom, mais je n’ai pas encore eu le temps d’aller « enquêter »…), qui serait parti faire fortune en Afrique du Sud à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, également propriétaire d’un château à Cézy, et qui aurait (selon les petits ragots du coin, il en faut bien) notamment utilisé cette sauvage petite « annexe » isolée dans les bois pour… « certains-ébats-vous-voyez-ce-que-je-veux-dire… ».
Le grand-père B., lui, n’avait acquis cette propriété qu’en 1942. Je n’ai pas osé demander au petit-fils comment et en quelles circonstances cette année-là… La prochaine fois peut-être ?
Car j’ai bien l’intention de repasser par-là une nouvelle fois, mais à pied, avec bâtons et sac au dos, quand je reprendrai ma transhumance mémorielle à partir de Saint-Julien-du-Sault, à trois kilomètres du Transvaal, là où l’oncle Raymond était venu, à Pâques 56, nous chercher à la gare, avec sa charrette et son cheval…
Bonne fin de vacances et meilleurs souvenirs à toutes et tous !