La nuit de noces
Abdellaziz Ben-Jebria
Le mariage traditionnel tunisien est très coûteux. Il est aussi exténuant pour les proches et stressant pour les mariés. Il dure toute une semaine pendant laquelle les cérémonies festives, journalières et nocturnes, s’enchaînent et s’alternent, du lundi à dimanche, chez les deux familles concernées.
La fête traditionnelle de cet évènement a connu, en fonction du temps, quelques évolutions pratiques. Mais, la notion fondamentale de la virginité féminine, sa célébration, et même sa démonstration, à la clôture du mariage, pendant la dernière nuit des noces, n’a presque pas évolué dans l’esprit des gens.
Mes aïeux m’avaient raconté que, dans le temps, les fiancés ne se connaissaient pas, ne se rencontraient jamais, et ne se découvraient que lors de cette fameuse nuit des noces pendant laquelle la virginité féminine devait être vérifiée intimement et supprimée sexuellement ; et la preuve devait être exposée au public pendant que le spectacle continuait avec le souffle musical de la cornemuse et le rythme dansant du tabla.
C’était en effet lors de la clôture nocturne du mariage, et pendant cette première rencontre physique intime que le marié devait vérifier la virginité de sa mariée, entamer son premier rapport sexuel pour la dépuceler, et montrer publiquement la preuve sanguine de son acte sexuel.
La démonstration du saignement de l’hymen, provoqué par sa déchirure sexuelle, s’exposait, dans le temps, sur une « Kmajja » ; une sorte de chemise de nuit traditionnelle, tachetée de sang, que le nouveau marié passait discrètement à sa belle-mère qui l’attendait devant la porte de la chambre et qui se chargeait de la montrer au public concerné.
Depuis longtemps et jusqu’à nos jours, la notion de la virginité demeurait ancrée, comme un tabou, dans la mentalité tunisienne. Elle est tellement importante qu’elle impacte souvent la sexualité des nouveaux mariés.
En effet, j’avais connu, pendant ma jeunesse et dans mon propre village natal, beaucoup de cas de nouveaux mariés qui se trouvaient tellement épuisés par l’organisation des festivités de leurs mariages, et tellement stressés par le dépucelage de leurs nouvelles et vierges mariées qu’ils se sentaient coincés psychologiquement dans leurs approches, bloqués mentalement dans leurs désirs, et dysfonctionnels sexuellement dans leurs orgasmes, pendant plusieurs jours voire même quelques mois.
De nos jours, l’honorabilité de la virginité féminine demeure une notion obsessionnelle, et la sexualité avant le mariage officiel n’est toujours pas rentrée dans les mœurs. Je me demande d’ailleurs pourquoi n’exige-t-on pas pareillement et également une sorte de virginité masculine. Cela étant dit, il est vrai qu’en dehors de quelques zones rurales, il est très rare de voir encore, cette ancienne démonstration « sanguine », preuve de cette virginité féminine, pendant la nuit des noces.
Depuis l’indépendance de la Tunisie Bourguibienne, il y a eu progressivement une évolution dans les mœurs de sorte que l’immense majorité des jeunes se font connaissance habituellement et se fréquentent mutuellement pour une éventuelle liaison sérieuse avant un éventuel mariage officiel.
Cependant, les festivités traditionnelles du mariage demeurent intactes, à part quelques évolutions pratiques de modernité sociétale. Quant à la virginité, qui demeure encore une notion importante dans les mœurs de la société tunisienne, sa démonstration a connu à son tour une évolution pragmatiquement moderne. Par exemple, dans mon village natal, dès que les deux mariés se retrouvent intimement seuls dans leur chambre, lors de la nuit des noces, ils allument ensemble quelques bougies que le marié passe discrètement à sa belle-mère ; ce qui signifie symboliquement que sa jeune mariée est bien vierge.
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