Chroniq’hebdo | Des rencontres, des agriculteurs, du Printemps des poètes, d’un hôtel et d’un documentaire
Pierre Kobel
Je suis allé à la remise du prix Clarens qui récompense chaque année un écrit autobiographique, à l’invitation de Gilbert Moreau, le directeur fondateur de la revue Les moments littéraires et président du jury du prix. Gilbert est un ami de l’APA et il n’a pas manqué de rendre hommage à Philippe Lejeune qui est un ancien élève de l’ENS où nous nous trouvions.
Au retour sur le quai du RER, dans l’attente du train qui tardait, j’engage la conversation avec un homme plus âgé que moi, un faux air à la Gabin dans son grand âge, l’air bougon en moins. Je découvre qu’il s’agit de l’ancien maire de Le Pecq, sénateur durant plus de vingt ans de l’UMP. Vieux gaulliste, chiraquien, aujourd’hui soutien de Laurent Vauquiez. L’homme est loin de mes opinions politiques, mais le temps de cette rencontre, nous échangeons aimablement et nous nous quittons aux Halles après une poignée de main chaleureuse. Rencontre improbable qui me rappelle des amitiés passées avec des personnes qui se trouvaient aussi loin de moi sur l’échiquier des idées et avec qui j’ai pu partager, enrichir mes propres opinions et surtout une nécessaire tolérance.
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Les agriculteurs sont sur les routes, occupent les carrefours pour dire leur détresse et leurs revendications. J’ai toujours du mal à prendre position à propos de ce monde que je connais mal. Je ne l’ai fréquenté que comme un citadin qui était en vacances à la campagne ou à la montagne plus tard. J’entends que deux agriculteurs se suicident par jour. Je compatis à la souffrance de ceux qui vivent le plus mal, je partage leur demande à vivre de leur travail. Mon regard d’aujourd’hui est aussi celui du consommateur que je suis, qui voudrait que la nourriture soit saine, artisanale, proche, de saison quand trop souvent elle est le résultat de cultures intensives et industrielles où l’amour et le respect de la Terre ont depuis longtemps laissé place au commerce dérégulé et à l’appât du gain.
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Autre actualité dans un tout autre domaine qui m’est proche, celui de la poésie. L’annonce du parrainage du Printemps des poètes 2024 par Sylvain Tesson a déclenché une levée de protestations dans la presse et les réseaux sociaux de la part de ceux qui ne voient en lui qu’un tenant de l’extrême droite. Pétitions et contre pétitions se renvoient la balle par-dessus la poésie qui n’en demande pas tant. Sylvain Tesson est souvent réactionnaire dans ses prises de position, cela n’en fait pas un fasciste. Par ailleurs cela n’enlève rien aux qualités de sa plume et à son goût authentique pour la poésie. L’homme est médiatique et cela n’est sans doute étranger ni au parrainage qui lui a été proposé ni aux réactions que cela provoque.
Combien je suis agacé par ces polémiques qui se multiplient à tout propos et n’ont souvent pour origine que l’humeur d’un internaute et/ou d’un obscur littérateur qui cherche par là une gloriole factice. Il y a des causes autrement plus importantes que celle-là pour s’enflammer et Tesson a trouvé du soutien de la part de personnalités qui ne partagent pas ses opinions, mais ont l’intelligence de ne pas confondre la liberté de pensée avec le refus des différences et l’obligation d’ostraciser.
Mais en arrière de l’écrivain, cette polémique met à jour la gestion du Printemps des poètes qui depuis quelques années est mise à mal du fait d’une gestion brutale qui va à l’encontre des valeurs pour lesquelles l’association fut créée. La directrice artistique, qui n’est pas capable de supporter les critiques et d’y faire face, jette l’éponge et démissionne. Pourquoi pas, si son départ permet à l’association de retrouver du dynamisme, de s’inscrire vraiment dans les mouvements de la poésie contemporaine et de retrouver sa vocation première de son ouverture au plus grand nombre ? Mais le faire à un mois de l’édition 2024 du Printemps, cela relève d’un orgueil mal placé et d’un certain manque de courage.
Cette année le Printemps des poètes a pour thématique La grâce. J’y pensais ce week-end en photographiant ce médaillon durant la visite de l’exotique hôtel de La Païva sur les Champs-Élysées. La Païva fut de ces grandes courtisanes qui alimentèrent la chronique du Second Empire en se livrant à une prostitution de grand luxe jusqu’à ce qu’elles trouvent un protecteur riche et puissant, l’épousent et finissent leur existence dans l’honorabilité et la respectabilité. Cet hôtel a coûté le quart du coût de l’opéra Garnier à lui tout seul ! Il y a là une débauche de luxe qui laisse à penser dans quel univers vivait cette société très éloignée de la misère du plus grand nombre, bien que la plupart de ces courtisanes aient des origines très modestes.
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À la maison, je regarde en replay un documentaire sur Arte : Man in Black de Wang Bing. Le compositeur et chef d’orchestre chinois Wang Xilin, âgé de 86 ans, témoigne de ce que fut la situation des intellectuels durant la Révolution culturelle : emprisonnement, maltraitances, dégradations, exécutions. Il le fait dans le théâtre des Bouffes du Nord, avec la nudité de son corps vieilli, ridé, fatigué. Rien d’exhibitionniste, seulement l’image offerte de celui qui n’a plus rien à cacher et vient dire ce que fut son parcours. Durant une longue heure, le spectacle de son corps en mouvement et sa parole sont bouleversants et viennent appuyer le message qu’il inscrit dans sa musique comme d’autres le font avec la poésie.
Internet
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Wikipédia | Hôtel de la Païva
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Arte TV | Man in Black