Stéréotypes et extrémisme
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne
Le cahier du Monde daté de ce jour a pour titre L’époque du rab des stéréotypes et présente en « une » une photo que l’on pourrait croire tout droit sortie d’un magazine des États-Unis des années 60 mettant en scène une « mère de famille modèle » présentant son plat de poulet du dimanche devant un décor de montagne « kitsch ». En ouvrant la double-page, on découvre trois autres photos de mise en scène de la photographe canadienne Kourtney Roy, qui revisite les stéréotypes féminins sous forme d’autoportraits devant le même décor, figurant « la mariée », « la mère » et « la prostituée ». Si l’esthétisme certain de ces photographies permis par le réalisme des postures et la précision des costumes attire le regard, il n’altère en rien la portée politique du message ainsi transmis : la femme des années 60 doit être mariée-mère-ménagère ou alors elle n’est pas… ou alors, elle n’est qu’une prostituée. Cynique et pourtant si vrai, me semble-t-il…
Sans épiloguer plus sur la signification de ces photos marquantes et en cela réussies, force fut de constater que l’article qu’elles accompagnaient n’était pas dépourvu d’intérêt. Malheureusement les constats établis sont consternants et choquants. J’y ai découvert l’existence du mouvement antiféministe porté en grande partie par des influenceuses, petites stars des réseaux sociaux qui prônent un retour aux rôles traditionnels des hommes et des femmes. L’homme doit être viril, la femme aux fourneaux et surtout on doit lui retirer le droit de vote. Paraît-il que certaines reconnaissent ouvertement que les femmes sont moins intelligentes et qu’il est donc dangereux de laisser ces « hystériques » aller aux urnes et faire n’importe quoi. La femme, quitte à utiliser de la magie noire, doit redevenir ce pourquoi elle est faite, mère de famille tout en étant capricieuse, insaisissable, mystérieuse. Assez de ces féministes qui ont tout déséquilibré, une femme ne doit pas aborder un homme, ne jamais payer l’addition, retour aux fondamentaux et aux bonnes vieilles méthodes. Remettons l’église au centre du village et les vaches seront bien gardées.
De là à considérer que ce dangereux extrémisme de genre pourrait rappeler quelques dérives eugénistes, il n’y a qu’un pas, largement franchi. Même si l’article précise que « toutes ne sont pas d’extrême droite », on apprend que la principale influenceuse française, une certaine Thaïs D’Escufon ne cache pas son militantisme et admet fièrement avoir participé à une opération anti-migrants en 2021, dans les Pyrénées, pour « traquer les profils suspects et afro-magrébins ». Malheureusement ces causes ne lui ont pas permis d’accéder à la notoriété tant convoitée. C’est pourquoi elle s’est rabattue sur le statut des femmes…
Qu’en penser ? Que dire ? Oser avouer qu’effectivement on peut considérer que certaines féministes, pas si nombreuses, en vrai, en veulent peut-être trop et qu’au-delà de l’égalité des sexes, il faudrait cesser de revendiquer pour certaines, une néo-pseudo-supériorité féminine qui ne fait que renverser le débat et aiguiser les instincts de conservation ? Qu’il n’est pas correct de décrédibiliser les hommes, de tous les ranger dans le même panier et qu’on ne doit pas recréer un nouveau déséquilibre, mais plutôt revendiquer uniquement une égalité des sexes comme on revendique une égalité des hommes, quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau ?
Oui, sans doute, mais sérieusement, la petite voix de la jeune fille que je fus et celle de femme plus accomplie que je suis tendent tout de même à me susurrer qu’on en est loin du renversement des tendances, très très loin dans certains pays, et qu’en chaque chose ce qu’il faut combattre ce sont les extrémismes de tout bord qui n’engendrent que haine et violence.
Attention par contre à ne pas sous-estimer l’influence sourde, mais pernicieuse des petits chaperons rouges manipulateurs, qui sous couvert d’innocente blondeur et de naïveté du discours pourraient bien se changer en loups…