Voeux 2021
Marie-Françoise Després-Lemarchand
On aurait – sans trop savoir pourquoi – un rien de langueur, de désarroi, un vague remous nostalgie-blues-et d’un ultime ressort, impro totale, in extremis, on dirait : « et si on faisait une escapade ? »
On réserverait une chambre d’hôte, roulerait dans les campagnes – Berry, Bourgogne, Quercy au choix… les terres seraient rouges et ocres, sur le flanc des collines le battement d’une église romane arrimerait le jour. Les pas seraient plus vifs, on marcherait, flânerait dans un village vétuste, on aurait faim… on dénicherait un restau de village, on humerait avec délices le plat du jour, comme cette fois de poule au pot et « riz au gras » dans la salle pleine d’ouvriers en bleu de travail se frottant les mains près du poêle. On n’aurait pas réservé, il faudrait se tasser un peu, on ferait pas trop de chichis sur l’éclat des couverts, la patronne aurait le verbe haut et l’apostrophe facile, on rirait avec elle, juste bien.
Ou, à rebours, nous hèlerait « la ville ». Un bain de Paris urgentissime ! un peu mirage, un peu souvenir, divertissement à plein – (et tant pis pour Pascal !) Paris-Gibert, Paris-galeries, Paris-boulevards. D’un bout à l’autre de la ville (rues cendrées du 11e, grenier bleu du marais, échoppes à poussière à poèmes…) à cache-cache les fantômes épars. Certes, les vivants aussi : on sonnerait chez les amis, au sommet des immeubles feutrés, fleurs d’une main et valise dans l’autre. Il y aurait des rires, des exclamations joyeuses, on s’embrasserait, on sentirait l’étreinte affectueuse, la main furtive ou appuyée, le jaillissement ébouriffé des retrouvailles.
On n’aurait pas peur du baiser.
L’hésitant, le spontané, l’obligé pataud « (“bon… on s’embrasse alors ?”)
Le raté maladroit, les lèvres sur le vide,
Le doux amical, léger, rassurant,
Le miséricordieux des amours qu’on répare,
Le tendre, affectueux, les lèvres doucement posées sur la joue de l’autre, tout chaud des mots qu’on dira pas,
Le gai vibrant venu d’enfance, les bras ouverts, sautant au cou, frottant la joue, piquant un peu, parfum ou pas, peau à peau furtivement – eau de toilette, après rasage allergisant ou pas, parfum subtil “j’adore ton parfum !” et reprendre rieur une goulée de baiser parfumé,
L’esquissé effleuré des lèvres maquillées, le contact furtif au refus d’altérer
L’émouvant sous les lèvres des peaux rêches, fanées, de mauvaises haleines et du poil oublié
Le bouleversant du Vetiver ombre du père
Que revienne le temps du baiser !
Du visage sous les lèvres offertes,
des joues froides, des joues rondes, des joues chaudes et des joues humides, des lèvres pleines, des lèvres pincées, des dents parfaites, des dents qui manquent, des trous entre les incisives (“vous avez là un charmant diathèse…” hum !)
Des bras qui s’ouvrent des corps qui viennent
Des élans des écarts des mains moites des mains sales des mains douces des sourires et des larmes
Il y eut il y aura…
In vitam quotidianam
Je vous souhaite Vivante Année !