Une page de journal et des anniversaires

Catherine Bierling

Ce matin du début de février, un rayon de soleil inattendu éclaire la table de la cuisine. Après maintes journées pluvieuses et ventées, c’est une très bonne surprise. J’en profite pour me rendre en ville, où je n’ai pas mis les pieds depuis plusieurs semaines. Je trouve une papeterie ouverte. (Est-ce un « commerce essentiel » ? Pour moi, oui !) Je fais provision d’encre, de stylos et de papier, et je trouve quelques babioles pour l’anniversaire d’Alice qui aura bientôt huit ans. Je réalise que le mien approche également, ce qui me réjouit moyennement…

Au détour d’une rue, je tombe sur une échoppe d’horlogerie où l’on peut trouver des piles pour les montres. Machinalement, je jette un coup d’œil à mon poignet et je constate que la mienne vient de s’arrêter, environ vingt minutes plus tôt. Quel esprit d’à-propos ! Je la dépose sur le comptoir et je dois venir la rechercher dans un quart d’heure. Cela me force à faire quelques pas supplémentaires dans le centre-ville. Magasins barricadés nous souhaitant une bonne santé. Chaises entassées devant les restaurants fermés. Ville déserte, ville muette. Moi qui naguère pestais contre ses rues bruyantes et trop encombrées, je me prends à regretter ce bon vieux temps. J’achète encore quelques fleurs au supermarché pour l’anniversaire d’Adrienne, amie de longue date que je ne vois guère à présent, bien qu’elle habite à mi-chemin de la colline où je me promène régulièrement.

Je pense déposer les fleurs sur le rebord de sa fenêtre, accompagnées d’une petite carte, mais le temps est si doux que je découvre Adrienne installée sur sa terrasse en compagnie de deux autres personnes. Tous m’invitent à les rejoindre. J’hésite une seconde, car c’est braver les recommandations officielles. Mais la bonne odeur d’un gâteau au chocolat a raison de mes scrupules et je m’installe sur ma chaise, à bonne distance des autres convives pour déguster mon gâteau et une bonne tasse de thé chaud. Nous parlons de Louise Glück et de son prix Nobel, de poésie et de yoga, à bâtons rompus, et même pas une phrase sur le Covid !

Je termine l’après-midi par le tour habituel de ma collinette. Le ciel est redevenu gris, mais une douceur printanière persiste, les mésanges bavardent, le vent s’est enfin tu.

Une journée presque normale, qui dans le contexte actuel me semble un cadeau que j’accueille avec gratitude.

Un poème de Louise Glück
Traduction personnelle de Catherine Bierling

 Perce-neige

Savez-vous ce que j’étais, comment je vivais ? Vous savez
Ce qu’est le désespoir, alors
Vous comprendrez ce que signifie l’hiver

Je ne m’attendais pas à survivre
La terre m’écrasait. Je ne m’attendais pas
À m’éveiller de nouveau, dans la terre humide
À ce que mon corps
Puisse de nouveau réagir, et après une si longue période
Se souvenir de la sensation d’un nouvel épanouissement
Dans la lumière froide
Des tous débuts du printemps

Apeurée, certes, mais à nouveau parmi vous
Je clame : oui, osez la joie

Dans le vent glacial de ce monde nouveau

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