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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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12 mars 2022

Stupeur !

Alice Bséréni

Je suis née de la guerre, mais aussi de la paix, un jour de juin 1946, un an tout juste après que les forces armées d’Orient ont délivré la région des Charentes et la poche de La Rochelle. Ma mère et sa famille sortaient d’une guerre atroce propagée au monde entier. Mon père avait quitté Alep avec les contingents de l’armée d’Orient, il embrassera en France une carrière militaire au long cours. On croyait avoir vaincu la barbarie, persuadés d’avoir laissé la guerre aux confins de l’Europe et à ceux du siècle écoulé. L’Europe s’est construite depuis, ensanglantée une fois encore par un conflit fratricide à ses franges de l’est, ses communautés implosées, déportées dans un puzzle aux frontières mouvantes, des peuples musulmans victimes, une fois encore, des visées expansionnistes de races bien plus pures. Nous croyions pourtant avoir construit une Europe apaisée, éduquée, vivante et progressiste, une entité digne de rejoindre les puissances éclairées, de figurer sur la carte d’un monde de progrès, prospère et inventif. Nous croyions défendre les valeurs de la démocratie et les exporter dans le monde. En leur nom les guerres se sont exportées ailleurs, en Orient, en Afrique, à l’encontre de bien des dictatures. Elles disposent en leur sol des richesses indispensables à l’essor de notre économie. Nous croyions être enfin à l’abri d’une nouvelle guerre, la troisième digne de ce nom ayant été menée en Orient contre l’Irak par trente-trois pays coalisés en 1991. Elle était loin de nous.

Stupeur ! Bruits de bottes et de canons grondent à nouveau aux portes de l’Europe. Un petit pays est encerclé, menacé, maintenant assailli. Il nous appelle à l’aide, il voudrait résister au rouleau compresseur de l’envahisseur, aux chenilles des tanks, aux bombes à fragmentation, aux menaces nucléaires, aux guerres informatiques. Les populations civiles sont les premières victimes. La vérité aussi, selon, les dires de Kipling : La première victime d’une guerre est toujours la vérité.

Je me souviens encore des manifestations monstres protestant contre la Première Guerre dite du Golfe contre l’Irak. Une majorité pas du tout silencieuse criait partout de par le monde sa désapprobation d’une guerre précipitée par la hâte de s’approprier le sous-sol irakien. Je me souviens des défections honteuses de l’ONU accueillant sous sa coupole les montages des médias mensonges accréditant les thèses des couveuses débranchées par les soldats irakiens au Koweït. Je me souviens des menaces supposées de la « quatrième armée du monde » menaçant le monde entier. Je me souviens aussi des nuits striées de bombes chirurgicales dans les cieux de Bagdad, présentés comme des jeux vidéo spectaculaires sur les écrans de nos télés, vantant une « guerre propre et chirurgicale » à l’encontre de cibles militaires. Je me souviens de quelques dégâts collatéraux, la seule usine de lait du pays ou celle de Coca, l’abri d’Al-Almeria accueillant les enfants du quartier la nuit, nombre de quartiers civils… Et de l’aveu même de Mme Albright, « Nous savons que 500 000 enfants irakiens sont morts en raison du blocus contre l’Irak, c’est le prix à payer »… Je me souviens avoir effectué une douzaine de séjours dans le pays en dix ans pour constater les dégâts, partagé la vie des Irakiens, témoigné des efforts monumentaux du pays sous blocus international pour se reconstruire. Je me souviens aussi des montages de Bush junior épaulé par Tony Blair pour vendre la nécessité d’une deuxième guerre contre l’Irak « détenteur d’armes de destruction massive » cette fois, une nouvelle menace pour le monde entier. Je me souviens qu’alors tout a basculé au Moyen-Orient.

L’Irak multimillénaire a été dévasté, son sous-sol éventré, ses tablettes d’écriture pulvérisées, ses trésors archéologiques pillés, son peuple sacrifié, en 1991, puis en 2003. Il fallait clore le chantier ouvert par Bush père. L’ensemble de la région moyen-orientale exporte depuis le djihad jusque dans nos quartiers. Les forces militaires censées contenir la menace djihadiste en Afrique surveillent de près les mines de lithium, d’uranium ou autres minerais rares indispensables à nos smartphones, cartes bancaires ou batteries d’ordinateurs, celles des autos, des vélos ou des patinettes électriques qui grouillent sur les trottoirs de nos cités. Il faudra bientôt les alimenter en électricité nucléaire. Les voitures Vigipirate continuent de sillonner nos rues, il faut compter avec la menace terroriste. Plus de soixante-dix ans après, la Palestine reste en souffrance, plaies toujours ouvertes, vives et purulentes, petit pays occupé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La Shoah, perpétrée sur le sol européen, a exporté sa mémoire, ses plaies inextinguibles, ses plaintes et ses lamentations. Elle exige, à juste titre, un devoir de mémoire et de réparation. Les responsabilités du vieux continent sont translatées en Palestine. Pendant ce temps on a construit l’Europe. Alep a été rasée depuis par les bombes conjuguées de Bachar El Assad et de Poutine. L’ensemble de la région arabe n’est plus qu’un champ de ruines, et la démocratie aussi.

Non, je ne partirai plus sur les traces de nos ancêtres sémites, je ne reprendrai pas le bâton de pèlerin qui m’a menée plus de dix ans durant dans l’Irak meurtri ni sur le chemin des conflits qui ensanglantent la région moyen-orientale. Je n’écrirai plus de livres dans la maison de mes amis irakiens, exilés, morts ou dissous dans une diaspora hagarde et vagabonde. Non, je ne veux plus voir les images des guerres ni écouter leurs commentaires. Quel crédit apporter aux images, aux montages, aux infos, aux interviews, aux dossiers dressés à la hâte pour nos imaginaires fébriles et fascinés, inquiets et stupéfaits ? Quelle considération réserver aux reporters qui ont trahi leur métier pour des médias sous influence, concentrés aux mains de quelques milliardaires hors sol ? Comment croire aux statistiques des morts, aux chiffres des victimes, aux exploits d’une armée obsolète, à la folie d’un dictateur maniaque et revanchard, à la guerre des images qui hante les médias ?

Ma mère vient de quitter ce monde, à l’aube d’une nouvelle guerre aux portes de l’Europe. Elle a connu les bombes, le couvre-feu, les restrictions, l’exode, la résistance. Elle en parlait souvent, j’en garde sa mémoire. Elle est partie à temps. Comment chercher encore la vérité, et conserver la liberté ? Chaque jour je dépose à la mairie les produits de première nécessité collectés pour les victimes, leur nombre enfle d’heure en heure. La guerre peut s’intensifier, dégénérer, se propager au monde entier, prendre des formes de destruction massive, cette fois définitive. Les collectes s’organisent. Je réponds comme je peux aux appels d’aides financières. J’ai pris part au défilé des femmes dans les rues de Paris en solidarité avec les Ukrainiens, les femmes sur le chemin de l’exil, le défilé coloré des femmes afghanes, les mères de soldats russes une fois de plus en noir.

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