Comment rendre compte d’un livre ?
Marie Sagaie Douve
Je papillonne. Au début, c’est l’enthousiasme. Puis je me lasse. Moins que l’histoire, la pulsation me parle. Une fois repérée, elle me berce et je vais voir ailleurs.
Dans la voix narrative, j’entends un son, un fondement — comme le grain de la parole. Cela aide à me situer. Parfois j’épouse la voix ou c’est elle qui m’enrobe.
La culture YouTube & podcasts a transformé la demande. On ose entrer dans des domaines étrangers, arides pour combler un désir d’arpenter de nouveaux territoires.
La mémoire immédiate diminuant, passé 70 ans, de quoi me rappellerai-je le mois prochain, dans un an ? L’oubli ouvrirait-il un chemin de sagesse ?
Depuis notre dernière rencontre chez Marie, j’ai pensé reprendre Carnets de bord, 1962-1969, de Pierre Guyotat. Beaucoup de descriptions, alors j’abandonne. De Hélène Bessette, je termine On ne vit que deux fois. Une publication posthume. Le parcours de vie résumé sur la couverture (1918-2000). Des souvenirs à l’intérieur. Un bilan plutôt amer. Sur YouTube, Laure Limongi présente l’œuvre méconnue, qu’elle admire. La lirai-je un jour ?
Des rêves me posent des énigmes. Je rouvre Cinq psychanalyses et retraverse Dora. Je préférerais que ce soit écrit par une femme, un siècle plus tard. La société a changé, les jeunes filles aussi.
Après l’écoute d’une conférence autour du mot « jouissance », j’ai rouvert Confessions. Jean-Jacques se revoit à Venise dans les bras d’une jeune prostituée. Ma relation à l’auteur, dès mes 16 ans, oscille entre fascination et sourire, lorsque le délire l’emporte dans le cœur tourmenté. Malgré l’heure tardive, je relis le passage. Les préliminaires laissent le hasard organiser la rencontre avec la jeune fille, qu’aucune beauté ne saurait égaler. L’éventail des émotions porte le discours entre larmes, silence et regret. Au second rendez-vous, qui aurait permis montrer de quoi l’on est capable, la Julietta a déjà quitté la ville. Mais, de cette voix narrative, je suis les inflexions, les détours. J’en perds le fil, le retrouve. Il s’embrouille, je le débrouille. La voix reste énigme en son fond. J’en reconnais le tempo, les dénivelés, la saveur.
La librairie du musée d’Orsay proposait Des histoires vraies de Sophie Calle. Toute une vie rassemblée dans ce petit livre. La photographe montre et se raconte. Courts paragraphes comme des cailloux sur le chemin. Qui va de la naissance à la mort. Celle de l’autre frôle celle qui raconte.
Sur une étagère, en attente, Lettres de prison, par Gabrielle Russier. Elles dormaient dans la boîte à livres du square des Épinettes — petit parc Monceau du 17e.
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