Chroniq’hebdo | De Anne Sexton, Annie Ernaux et de la poésie en montagne
Pierre Kobel
J’évoquais la semaine dernière la personne de Robert Desnos. Si je l’aime particulièrement pour sa créativité, sa liberté, son courage, il n’est évidemment qu’un des nombreux poètes que je lis quotidiennement. Je n’ai pas à me vanter de cela, je n’en fais aucune gloire, c’est un accompagnement qui m’est devenu nécessaire et grâce auquel je parviens à me faire le passeur de plusieurs textes par semaine dans mon blog La Pierre et le Sel. Ces lectures, c’est un rituel auquel je m’adonne spontanément. Parfois il se limite à la lecture d’un ou deux textes, d’autres fois à une longue immersion dans ma bibliothèque entre flânerie, recherche précise et découverte/redécouverte. La poésie est pour moi un moyen de vivre malgré tout, non pas contre, mais face à la réalité. « Il faudrait essayer de ne pas accorder trop de réalité à la réalité./Le monde a grand besoin que nous doutions un peu de son existence. » écrivait Claude Roy dans Les rencontres des jours. Et puis la poésie n’empêche pas de rester en prise avec le monde, elle est seulement un autre moyen de le dire. Parmi les poètes que je lis depuis le début de l’année, il y a l’Américaine Anne Sexton, déjà évoquée fin janvier, que j’ai découverte comme beaucoup grâce à la publication aux éditions des Femmes du recueil Tu vis ou tu meurs qui regroupe sa poésie de 1960 à 1969 traduite par Sabine Huynh. La Croix écrit que « Chez elle, la sorcière figure déjà la femme puissante. Celle qui, par ses paroles, vengera toutes ses sœurs, épouse enfermée, amoureuse trahie ou femme au foyer délaissée. » Il faut se réjouir de cette parution qui donne accès en français à une auteure de première importance, déjà reconnue dans le monde anglo-saxon, elle qui fut contemporaine de Sylvia Plath pour ne citer qu’elle. Quelques lignes extraites du poème intitulé A dit la poétesse à son anlyste.
Mon affaire, ce sont les mots. Les mots sont comme des étiquettes,
ou des pièces de monnaie, ou mieux, un essaim d’abeilles.
J’avoue que seules les sources des choses arrivent à me briser ;
comme si les mots étaient comptés telles des abeilles mortes dans le grenier,
détachées de leurs yeux jaunes et de leurs ailes sèches.
Je dois toujours oublier comment un mot est capable d’en choisir
un autre, d’en façonner un autre, jusqu'à ce que j’aie
quelque chose que j’aurais pu dire…
mais sans l’avoir fait.
Et lisant Anne Sexton, je pense à ces mots de Michèle Finck à un tout autre propos : « ce texte révèle l’aspiration profonde de toute poésie à sortir de l’écriture, à devenir voix. » Anne Sexton une voix majeure de la poésie qui ne peut que parler à ceux comme nous qui se passionnons pour les écrits de soi.
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Cette semaine nouvelle réunion de notre groupe parisien. Toujours les mêmes échanges chaleureux et enrichissants, les mêmes intérêts qui donnent à vivre.
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« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont seulement été vécues. » C’est Annie Ernaux qui écrit cela, Annie Ernaux que j’ai regardé à la Grande librairie. Toujours à distance de ce qu’elle écrit pour ne pas être confondue avec son personnage. Également à distance des autres qu’elle observe, qu’elle analyse. Femme de perspicacité et de volonté, ne s’en laissant conter par personne et dupe de rien pour ce qui est de la célébrité. Restent ses écrits qui ne cessent de nous accompagner au plus juste pour nous renvoyer à nos propres existences. La phrase d’Ernaux me parle, tant j’ai parfois le sentiment que ma vie est en vrac. J’ai souvent le sentiment de seulement m’y frayer un chemin incertain et il n’y a que les mots de mon journal pour essayer de m’y repérer. Est-ce que j’y parviens ? Pas sûr. Avec les mots, j’essaie de faire face aux questions que me pose ma relation aux autres, aux problèmes que me posent mes projets d’écriture poétique, aux bouleversements que provoque la vieillesse, les deuils et la maladie, bien que je m’en défende.
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Je reviens juste à temps ce lundi pour mettre cette Chroniq’hebdo en ligne après trois jours à la montagne. Pas de randonnée, pas de balades dans les hauteurs, ce fut un long week-end de poésie dans le Trièves au sud de l’Isère dans le cadre d’un festival mêlant la poésie, la poterie, les animations musicales, dansantes, nourricières et abreuvantes. Les vers vont tellement bien avec les verres ! Ce n’est pas de moi, mais celle qui est l’auteure de la formule comprendra mon clin d’œil amical. Ce fut l’occasion de partager avec des collègues, amis pour certains, l’engagement commun pour la poésie. Structures de micro-édition, je les ai déjà évoquées ici, qui forme un substrat de la poésie contemporaine et ouvre la porte de la reconnaissance aux écritures jeunes.
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Ah ! J’allais oublier: le blog a franchi le cap des 400 billets durant la semaine passée. Merci à tous et continuez à nous envoyer vos contributions riches et diverses.
Internet
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Wikipédia | Anne Sexton
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terre à ciel | Linda Gray Sexton, écrivain et fille de la poète Anne Sexton
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Wikipédia | Annie Ernaux