Les défenseurs de l'ordre et les châtiments corporels
Martine Lévy
J’habitais Bourg-la-Reine et c’est tout naturellement que je fis mes études de la 6e à la terminale au Lycée Marie-Curie de Sceaux, lycée de filles, lycée bourgeois, lycée élitiste, lycée convoité, lycée-caserne. Lorsque je le quittais après avoir eu mon bac en 1973, il devait y avoir 10 garçons pour 2000 filles (je ne sais plus précisément).
Nous portions des blouses alternativement bleues et marron (si ma mémoire est exacte) avec notre nom brodé en rouge. Le pantalon y était formellement interdit, la surgé hurlait pour nous faire taire, les professeurs (surtout des professeurs en fin de carrière jusqu’en 1968) n’avaient aucune empathie ni pédagogie, bref ce n’était pas la joie. J’ai traversé ces années comme une ombre et cette révolte de 1973 reste comme une lueur dans ce brouillard épais.
1973, l’ordre et la morale règnent encore grâce à la répression policière. Un témoignage dans le Monde.
P.S. J’ai déposé les 3 documents originaux liés à « L’affaire Boris Vian » à La Contemporaine (ex BDIC) à Nanterre avec mes archives « Larzac » et les archives de mes parents, militants de diverses causes.
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M. Yves Dumont, agrégé de mathématiques au lycée technique de Cachan (Val-de-Marne), nous a adressé une lettre dans laquelle il écrit notamment :
Le mardi 28 novembre, passant devant le lycée Marie-Curie, à Sceaux, je vis deux agents bousculer et jeter à terre un jeune homme qui vendait le journal Lutte ouvrière. Indigné d’une telle attitude de la part de gens qui sont censés maintenir l’ordre, je protestai vivement. Les policiers repartant, je croyais que l’affaire allait en rester là, mais quelques minutes après arrivait un car : une dizaine de policiers en surgirent, qui s’emparèrent de ce jeune homme et le jetèrent à l’intérieur. Là, coups de pied, de poing et injures commencèrent à pleuvoir sur lui.
Je fus, moi aussi, embarqué, et si l’énoncé de ma profession m’évita les coups, il me valut non seulement des injures comme « ces salauds qui pourrissent la jeunesse », mais également des menaces : « Si je te retrouve dans un coin sombre, tu t’en souviendras toute ta vie. »
Nous avons été retenus pendant quatre heures au poste, ce qui m’a mis dans l’impossibilité de me rendre à mon travail.
Ces faits sont proprement scandaleux, et il me semble souhaitable qu’ils soient portés à la connaissance du public. En effet, où est donc la liberté d’expression si, au gré de son humeur, n’importe quel policier a le pouvoir d’interdire la vente des journaux qui lui déplaisent ? Quels sont ces « défenseurs de l’ordre » qui s’arrogent le droit de châtiments corporels ?
Après cet incident, on s’est contenté, au commissariat de Sceaux, de faire état de la circulaire du ministère de l’Intérieur interdisant la distribution de journaux à la sortie des établissements scolaires. Deux personnes qui, le 28 novembre, refusèrent d’obtempérer ont été interpellées et conduites au commissariat. On dément qu’elles aient été victimes de violences et on affirme qu’elles ont été incapables de montrer des traces de coups.
De leur côté, les membres de la section syndicale du SNES du lycée technique de Cachan, « ayant pris connaissance des circonstances dans lesquelles l’un de ses membres s’est trouvé retenu pendant près de quatre heures au commissariat de Sceaux, perdant ainsi une journée de salaire », ont protesté « contre cette atteinte aux libertés publiques » et se sont indignés « des propos injurieux pour la profession tenus par certains agents de police à leur collègue ».
7décembre 1972 – Article du Monde