La part des souliers
Françoise Ballay
J ’avais quel âge ? Quatre ans ? Cinq ?
Des chaussures robustes, montantes, d’une peau épaisse couleur érable. Elles m’avaient fait aimer, d’un coup d’un seul, l’un des deux garçons de la récréation (l’autre s’appelait Rémi, coupe en brosse, épis blond très clair). De ses souliers j’étais passée à ses yeux. Malicieux. Vite, courir avec lui à fond dans les marrons d’Inde, grisés de vitesse sur les billes luisantes et bosselées, en nage.
J’ai retrouvé une photo de nous à la petite école, mon regard farouche en boulets de charbon, et lui ses cheveux d’un noir sans appel, comme l’encre d’imprimerie qui tachait nos tabliers. Derrière nous les chevalets et les pinceaux, petit gris de bois, hauts comme des échasses. Les pots en verre mâchurés de peinture, le jaune, le rouge, le bleu. Les autres élèves semblent distraits. Curieusement, je vois en couleurs la photo en noir et blanc.
La voix de ce jumeau d’aventure s’est perdue dans la course des récrés. À la communale, la règle séparait les souliers. Garçons et filles devaient s’user à une éternité des autres sur des parquets distincts bien cirés, sans retour, plus jamais, comme un marron éclaté. Marc. L’autre c’était Rémi, et lui, Marc. Son sourire me traverse !