Le cours moyen deuxième année
Daniel Valin
L’enfant s’appelle Daniel et il a dix ans, il est avec un phénomène de maître, monsieur Combot, Marcel de son prénom comme papa, et qui est allé à l’école avec papa, cela renforce son autorité et donne un certain prestige à papa. Oui, papa est allé à l’école avec un futur instituteur. Le père Combot est un grand gaillard chauve et très autoritaire. Il porte de petites lunettes sans monture cerclées par un fil de nylon à la mode. Sa calvitie est impressionnante, luisante et bronzée comme s’il avait oublié son chapeau un jour de grand soleil, son gros bide est aussi impressionnant, car il va souvent boire son p’tit coup chez Madame Jeanne et il paraît que le pinard, ça fait grossir. Dans la classe, on s’interdit tout jeu de mots sur le patronyme du maître. La punition serait terrible. Les méthodes de discipline sont terrifiantes : Le piquet, le coup de règle sur les doigts pointés vers le haut, le grimper de cinq cordes lisses à la suite sous le préau et même se faire accrocher par les bretelles aux porte-manteaux qui garnissent le mur du fond de la classe ! Un jour, l’enfant se fera tirer les oreilles au cours du soir et du sang coule parce que les croûtes d’impétigo ont sauté, une infection cutanée infantile croûteuse. Il ne sera pas possible de passer pour un martyr en rentrant à la maison, le copain de papa a toujours raison !
L’enseignement du père Combot est captivant, surtout les sciences, on apprend la dilatation des liquides, des gaz et des solides. Quelle merveilleuse invention que le fameux et trop ignoré pyromètre à cadran ! Après le cours sur la marmite à Denis Papin, toute la classe s’est rendue en rang bien ordonné un matin à neuf heures trente précises pour saluer le passage de l’Albatros au carrefour de la Brèque à Harfleur. C’est la rapide de luxe tiré par une « demoiselle », la PACIFIC 231 fonctionnant sous le principe de la marmite remplie d’eau bouillante dont le couvercle se soulève. Un salut collectif de la classe au chauffeur et au mécanicien récompensé par deux coups de sifflet strident en retour. La vitesse du convoi à cet endroit est encore environ de cent trente kilomètres par heure. Après la descente de Bréauté, le mécanicien va devoir commencer à actionner les freins à Graville s’il veut arrêter correctement le lourd convoi à moins d’un mètre des butoirs situés au bout du quai numéro un de la gare du Havre. Les wagons, quel drôle de mot avec un W, sont en aluminium, en alu comme on dit à la maison. Il y a même la climatisation et un wagon-restaurant ! Les riches passagers vont sûrement à la gare maritime pour filer vers l’Amérique sur le paquebot Liberté. Il s’en suit un exercice de rédaction collective des élèves qui aboutit à une invitation à visiter le dépôt SNCF de Soquence. Ce qui est fait en louant un vieil autobus du Havre pour transporter tous les élèves de la classe sans oublier l’instituteur. À partir de cet instant naît chez l’enfant un amour indélébile pour tout ce qui touche le monde du ferroviaire.
En résumé, tout un parcours scolaire de huit années, huit longues années, une éternité pour un enfant, mais il faut avoir connu l’adrénaline du calcul mental aux ardoises fièrement brandies, les concours chorales et les sciences du père Combot, sans oublier ce que préfère le gamin du vingt-huit route d’Oudalle, à savoir les interminables récréations des derniers jours de classe la première semaine du mois de juillet précédant les grandes vacances. Et puis il y a l’aventure des voyages scolaires de fin d’année ou l’enfant peut se tremper les pieds dans la Manche à Octeville sur mer en hurlant de plaisir avant de se faire rissoler sur la plage tout en dégustant le sandwich préparé par maman. Les inévitables coups de soleil sont la rançon du plaisir. Là où il y a plaisir, il y a souvent gène contrairement au dicton.
Internet
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Le compendium | Le pyromètre à cadran
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Wikipédia | Pacific