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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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17 juin 2022

Mes écoles

 Jacques Lucchesi

 logo_nos_ecolesUn préau avec des WC et des lavabos latéraux ; des enfants qui couraient et jouaient en tous sens dans un brouhaha incessant ; des arcades où nous nous rangions en file indienne pour regagner les salles de cours quand la sonnerie électrique marquait la fin de la récréation : tel était le décor spatial et sensoriel des écoles maternelle et communale où, enfant de la Ve République, j’ai fait mes apprentissages fondamentaux.

 Photo Jean Suquet, 1959

À l’intérieur nous attendaient de petits pupitres avec encrier incorporé. À chacun de trouver sa place et de la garder. Les plus éveillés d’entre nous choisissaient de s’asseoir devant, les plus paresseux se massaient à l’arrière. Ainsi s’établissait spontanément une première catégorisation sociale. À mesure que les mois passaient, les pupitres se chargeaient de tâches et de dessins parfois gravés dans la chair tendre du bois.

 Les maîtres, comme nous les nommions alors, avaient en général leur bureau disposé sur une estrade, ce qui leur donnait un point de vue global sur l’ensemble des élèves. Juste derrière, le tableau noir avec son présentoir à craies était un peu le miroir des pages de nos cahiers. À nous de recopier ce que l’instituteur écrivait avant qu’il effaçât ses phrases et ses formules, parfois avant la fin du cours. Être appelé au tableau pour compléter un exercice prenait souvent un caractère d’ordalie. Et gare à la règle de fer qu’il réservait pour le bout de nos doigts, quand il ne nous tirait pas énergiquement les oreilles. Les sévices corporels pratiqués par les enseignants sur les écoliers n’étaient pas rares dans les années 60, en France. Et personne n’y trouvait à redire.

 Si j’ai appris assez vite à lire, écrire et compter, j’ai aussi appris à l’école la dureté de la vie, avec des enseignants parfois cruels ou indifférents aux élèves qui ne parvenaient pas à suivre leurs cours ; avec des gamins de mon âge qui révélaient vite leur malice, leur brutalité et leur appétit de domination.

 Enfant sensible, j’ai tout d’abord vécu l’entrée à l’école comme une séparation angoissante d’avec le cocon familial. Par la suite ce fut sans plaisir que je m’y rendis, conscient de son caractère obligatoire, contraint à passer six heures par jour hors de chez moi à suivre un programme d’un intérêt inégal, surtout en français et en histoire où j’avais pris, par mes lectures personnelles, beaucoup d’avance. Dieu ! Que les heures peuvent être longues quand on s’ennuie et qu’on observe, par la fenêtre, le soleil décliner en hiver, dans l’attente de la sonnerie qui nous libérera de ce carcan mental ! Et c’est sans parler d’autres épreuves qui pouvaient rendre menaçant le chemin du retour chez soi.

 Dans ces conditions, être malade était une sorte d’aubaine où, pendant une semaine, je pouvais me croire en vacances et savourer le bonheur de vivre à mon rythme, couché toute la journée dans un lit douillet à lire les ouvrages qui me plaisaient vraiment, entouré par mes parents aux petits soins pour moi.

 C’est aussi dans ce contexte que j’ai découvert que d’autres garçons me ressemblaient, intérieurement parlant ; que nous pouvions partager, non seulement un casse-croûte, mais surtout des rêves et des jeux plus élaborés qu’une partie de billes ou de ballon. Naissance de l’amitié et du plaisir d’être avec un autre que soi. Naissance aussi de sentiments moins limpides, plus troublants, pour ceux que je trouvais plus beaux que moi. Sans avoir encore éprouvé les vrais tourments de la chair ni les séductions obsédantes de l’autre sexe.

20220617gds-mem-jlucch_mes_écoles_billes

 Qu’ai-je appris, finalement, dans ces écoles publiques où j’ai passé mon enfance ? Pas grand-chose au regard de tout ce que j’ai pu apprendre par la suite, hors du système scolaire, à travers des milliers de livres découverts et lus passionnément. Ce sont eux qui allaient me permettre de mieux me connaître puis d’exprimer les impressions et les idées qui m’habitaient. À leur façon, ils ont été des clés pour participer à la vie sociale et culturelle de mon époque. Mais l’école m’a aussi appris à me méfier des incitations, voire des pressions, que les groupes peuvent exercer sur les consciences individuelles. La liberté s’acquiert souvent au prix fort de la solitude.

 

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Commentaires
A
Sans l’apprentissage à la lecture et à l’écriture dans l’école de votre enfance, vous n’auriez pas pu vous épanouir dans la lecture des livres de votre choix. Alors, ce n’est pas juste d’affirmer rapidement que l’école de votre enfance n’a servi à pas grand chose. Moi, je pense que c’est plutôt l’école élémentaire qui m’était la plus utile et qui m’avait permis de voir plus loin.
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