La combattante
Madeleine R.
C’est un documentaire de Camille Ponsin, dont la première sortie au cinéma était mercredi 5 octobre. Aux « Trois Luxembourg », à la séance de 20 h 30, elle était là, l’« héroïne » du film, avec le réalisateur et le distributeur. Déjà présenté dans divers festivals, grand prix du FIPADOC (festival international de programmes audiovisuels documentaires), il a obtenu plusieurs autres prix. Il est centré sur l’action de l’ethnologue Marie-José Tubiana en faveur de « déboutés du droit d’asile » en provenance du Darfour, son terrain d’enquête dans les années 50-60. Ils ont réussi à s’échapper de l’enfer et du génocide du Darfour (au péril de leur vie) et sont venus demander l’asile à la France. Mais le récit recueilli par l’« officier de protection du droit d’asile » de l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides) qui les a reçus est jugé : « déclaration confuse, origine géographique non étayée ».
Elle est née en 1930, est spécialiste reconnue du Tchad et du Darfour, a écrit plusieurs ouvrages, dont un livre sur les femmes du Sahel, elle a fait des photos et des films (elle a appris auprès de Jean Rouch). Son appartement est un lieu d’archives extraordinaire, où elle se perd un peu, mais finit toujours par retrouver la feuille qu’elle cherche. Sa tête et son cœur fonctionnent à merveille et elle reçoit gentiment ces gens qui viennent d’un pays qu’elle connaît comme sa poche, où elle avait été si bien reçue qu’elle a contracté une dette envers eux.
Une lutte en appartement d’une femme qui reste toute simple et ne veut pas être mise en avant. On découvre quelques-uns de ses ouvrages, des rushs oubliés au fond d’un placard (elle sait où ils sont) et on peut voir des extraits de quelques-uns de ses films, de ses photos magnifiques des années 60, prises à l’occasion de fêtes, de danses filmées avec des corps très fins et très beaux.
Un documentaire exceptionnel par la rencontre de cette femme combattante, qui énonce quelques vérités sur l’OFPRA. Elle est allée leur dire qu’il faudrait des spécialistes des pays d’origine, mais on ne l’a pas écoutée. On soupçonne ces demandeurs d’asile de ne pas être originaires du Darfour parce que le nom de leur village ne figure pas sur la carte, alors qu’elle retrouve avec eux leur village, leur clan, leur famille à partir des cartes qu’elle a chez elle au milieu de sa prodigieuse documentation et de sa connaissance experte du pays et de ses langues. Elle les écoute, ils se sentent bien chez elle, car il y a partout des objets qui leur rappellent leur pays. Ils racontent leur histoire tragique (le génocide des peuples du Darfour, les villages brûlés, rasés entièrement). Et elle rédige une lettre en son nom pour soutenir leur demande d’asile auprès de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) après le refus de l’OFPRA… elle l’obtient.
Elle critique la politique de l’Union européenne quant aux migrants et le soutien financier scandaleux donné aux dirigeants despotes de Khartoum pour éviter l’afflux de migrants (susceptibles de « nous envahir » !), alors que leur nombre est très faible.
Ce documentaire révèle aussi le regard et la complicité d’un réalisateur qui s’est passionné pour les migrants du Darfour après un séjour qu’il a fait à Calais et qui a trouvé chez cette femme, une « Juste », dans son appartement, huis clos singulier, un point d’entrée pour exposer la réalité particulièrement tragique de l’histoire complexe et méconnue de la région du Darfour à l’ouest du Soudan, à travers les histoires de vie des réfugiés. Si l’ethnologue m’a rappelé Germaine Tillion, leur complicité m’a fait penser à celle entre Agnès Varda et JR.
Allez-y, vous ne serez pas déçus ! Il faut soutenir ce film et son message remarquable.
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