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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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13 janvier 2023

Angèle

Jacqueline Desmaretz

logo_nos_aieuxJe n’ai pas connu mes grands-parents maternels, pas connu non plus Tante Angèle, la référence morale de ma mère. Orpheline à l’âge de huit ans, Clémence, ma mère, fut recueillie par une cousine qu’elle appela d’emblée « tante Angèle ». Sans la générosité de sa famille d’accueil, elle aurait été confiée à l’orphelinat de la ville voisine. Générosité d’autant plus grande que cette famille dépendait uniquement d’Angèle, jeune veuve et mère de deux enfants. Au début du XXe siècle, les prestations familiales n’existaient pas et c’est donc uniquement par son travail de confection de vêtements à domicile qu’Angèle tirait ses ressources pour entretenir les trois enfants à charge ainsi qu’un vieil oncle hébergé sous son toit. Un petit potager et quelques menus travaux agricoles chez le fermier voisin permettaient d’améliorer l’ordinaire. « Nous n’étions pas riches, mais grâce à l’astuce de Tante Angèle pour retailler des vêtements dans de vieux habits, aux prouesses de notre vieil oncle pour cultiver et conserver en toutes saisons les légumes, nous n’étions pas des parias et avons toujours mangé à notre faim ! » disait ma mère avec fierté et une infinie reconnaissance.

Je n’ai pas connu Angèle, morte peu de temps avant ma naissance et le vieil oncle non plus évidemment. À leur sujet, ceux qui les ont connus disent qu’ils « étaient bons comme le pain blanc ! ». C’était Angèle qu’on venait chercher quand une femme « entrait en douleurs » lors d’un accouchement ou qu’un malade était au seuil de la mort. C’était à Angèle que l’on confiait peines de femmes et soucis inavouables au curé du village. Quasiment illettrée, elle connaissait les gestes et paroles qui apaisent. On m’a rapporté que c’est avec réticence qu’elle finissait par accepter la motte de beurre ou le morceau de lard en remerciements des heures à soulager les souffrances. Un de ses plus grands plaisirs était de régaler de crêpes les enfants du voisinage qui aimaient s’entasser chez elle, y compris ceux du château voisin, au grand dam de sa propriétaire. Avec ténacité et sans doute au prix de sacrifices, Angèle a encouragé ses ouailles à apprendre un métier qui les mettrait à l’abri du besoin. Ma mère Clémence a toute sa vie calqué son comportement altruiste sur celle qui l’a éduquée par l’exemple, elle m’a d’ailleurs confié qu’avant chaque décision elle convoquait en pensée celle pour qui elle avait une véritable vénération.

Je n’ai hélas aucune photo d’Angèle ! Je n’ai qu’en mémoire celle qui trônait dans son cadre ovale au-dessus de la commode dans la chambre de sa fille. J’ignore à ce jour ce qu’est devenu ce portrait.

Je me souviens de cette petite maison aux volets verts qui avait été la sienne du temps de la jeunesse de ma mère. Comme en pèlerinage à chaque retour dans le village, il fallait s’y arrêter et ma mère s’épanchait alors en anecdotes moult fois racontées.

Aujourd’hui à cet endroit est un rond-point que les habitants de ce siècle nomment sans en connaître l’origine « le carrefour Angèle » !

En écrivant ces lignes, je prends conscience de l’importance de la transmission que ma génération a à effectuer auprès des plus jeunes. Qui après moi pourrait parler d’Angèle à mes petits-enfants ? Qui pourrait leur dire que sans la solidarité et la générosité de cette femme modeste, Clémence leur arrière-grand-mère, n’aurait pas connu l’enfance heureuse qu’elle se plaisait à raconter.

20230113gds-mem-jdem_angele

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M
Merci pour ce touchant portrait. "Vies minuscules" mais grande dame ! C'est bien qu'Angèle continue ainsi d'exister !
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