Le premier jour des grandes vacances

Phrasie

     L’un de mes souvenirs heureux d’adolescence concerne une promenade à vélo que j’ai faite l’année de mes 15 ans, pendant l’été en juin 1966. Ce jour-là donc, nous (les copines de classe de 3e) avions décidé de partir en expédition à vélo dans la campagne environnante. Il fallait se lever tôt, le rendez-vous était fixé à 7 h du matin au bout de ma rue, direction Labruguière. Je n’avais bien sûr pas du tout l’habitude de me trouver dehors si tôt le matin et à peine arrivée à leur niveau, les sacoches de mon vélo pleines de sandwiches, d’eau et de Dieu sait combien de vêtements de rechange au cas où, j’ai entendu le cri strident de l’incroyable sifflet qui indiquait aux ouvriers de l’usine textile proche, le début de leur journée. Aucune de mes copines n’y a fait attention, mais cette usine était située juste en face de ma chambre et cette sirène, ça faisait quatre ans que je l’entendais tous les matins avant de me lever et je me demande encore pourquoi elle m’a fait une telle impression ce jour-là. Probablement parce que c’était la preuve que les grandes vacances commençaient vraiment puisque j’étais dehors, au soleil, accrochée à mon vélo. Depuis, je ne crois pas avoir ressenti un tel sentiment de liberté que ce matin d’été là, à entendre une sirène d’usine !

     J’ai retrouvé il y a peu les photos faites ce jour-là. Je crois que j’étais la seule à avoir pris mon appareil photo, une simple boite sans aucun réglage qui ne fonctionnait bien qu’en plein soleil. En ces temps de photos argentiques, on ne savait jamais à l’avance ce qu’on avait photographié. Il fallait attendre le tirage papier pour savoir si c’était raté ou pas. Je faisais bien attention à mes cadrages et j’essayais de ne pas photographier n’importe quoi, les douze prises de vue coûtaient cher et j’ai toujours été prévoyante. Quelle n’a pas été ma colère quand j’ai compris que l’une de mes copines, je ne sais plus laquelle, a pris le fameux appareil sans me le dire et à commencé à photographier à droite et à gauche sans s’occuper du cadrage ou des mouvements et sans s’apercevoir que la pellicule entière y passait ! Elle se prenait pour un reporter du journal local ! Et voilà les photos sur lesquelles je viens de mettre la main. À la réflexion et avec la distance (nous sommes cinquante-six ans plus tard) ces photos ont du charme et me laissent rêveuse. On voit bien nos vélos couchés dans le fossé derrière nous, on voit bien que nous sommes heureuses de notre balade. La photo que j’ai critiquée à l’époque parce que floue, exprime cette joie de vivre : je suis debout en plein jeu avec ma copine Maryse et jamais je n’aurais fait un tel plan à l’époque. Finalement l’apprenti reporter a eu raison de ne pas prêter attention à ce qu’elle voyait à travers le viseur !! Je n’ai récupéré que deux photos de cette mémorable journée pour les mettre en guise d’illustration, les dix autres sont prises de tellement loin qu’on nous distingue à peine ou bien le doigt du reporter cache l’objectif quand ce n’est pas le rabat du boîtier que l’on voit en gros plan ! Je ne lui en veux plus, au contraire sans ma copine apprentie photographe, il ne serait rien resté de cette mémorable promenade à bicyclette !

Si mon ange gardien favori se réveillait subitement pour m’annoncer que demain est mon dernier jour sur terre et que je peux décider du contenu de ma journée, je dirais sans hésiter :

« je veux que ce soit le premier jour des grandes vacances ».

Comments

[Chinou]

Merci Phrasie d'avoir dirigé mes pas jusqu'ici. J'ai pris plaisir à lire ton texte et apprendre que tu avais vécu à Labruguière où j'ai des amis. Je ne vais pas m'abonner à la NL ici car trop de publiccations qui, même si elles sont interessantes, me prendraient trop de temps de lecture. Bonne soirée.