Prise au vent
Delphine Sers
« Je t’écris pour te dire que si je ne suis pas venue te voir depuis bientôt un an que tu es malade, ce n’est pas par négligence ou par égoïsme, mais parce que tu es pour moi quelqu’un de dangereux.
Je m’explique, il y a trois ans, lors de la réunion de famille pour l’anniversaire de P. tu t’es montré encore plus ignoble que d’habitude. Je sais que tu avais bu, mais je ne considère plus cela comme une excuse. Ce jour-là, tu en as fait trop fait et je me suis juré de ne plus jamais te rencontrer. J’ai ressenti pour toi une telle haine, une telle colère que j’ai instantanément pris cette décision qui explique mon absence de visite.
Je te reproche de m’avoir toujours considérée comme un objet à ta disposition, objet dont on peut impunément toucher les seins ou qu’on peut essayer d’embrasser à l’abri du regard des autres. Je te reproche tous ces contacts dont je ne voulais pas, mais que tu m’as imposés chaque fois qu’on se voyait, et les occasions ont été innombrables dans la famille. Penser à ta façon de me serrer dans tes bras pour me faire l’indispensable bise amicale me donne envie de vomir. Tu t’es toujours arrangé pour décider quand et où, auraient lieu tes manigances, manière de me faire comprendre que c’était toi qui menais le jeu. Je te reproche des propos constamment tournés vers ton seul centre d’intérêt, ta satisfaction sexuelle. Je te reproche d’avoir eu des gestes plus que déplacés pendant mon adolescence et d’avoir abusé de ma confiance. Je te reproche un harcèlement sexuel qui dure depuis des décennies.
D’accord, il y a prescription, mais tu as pourri ma vie avec ta suffisance et ton mépris. Je dis mépris, car tu t’es toujours comporté comme un prédateur à mon égard, la victime que j’étais n’a jamais osé réagir. Pour toi il s’agit peut-être d’un comportement anodin, mais pour moi c’est révoltant et violent, je ne le supporte plus. Ne crois pas qu’on peut en toute impunité utiliser le corps des autres sans leur accord. Éviter d’en parler et respecter la loi du silence, ça ne marche plus, c’est pourquoi j’ai tenu à t’écrire cette lettre.
Ceci dit, je ne souhaite pas me complaire dans ma colère, trouver le chemin de l’apaisement est beaucoup plus important pour moi que le désir de vengeance. Je ne vais rien oublier de tes actes, mais je veux me libérer de ton emprise. Quant à toi, je te laisse à ta propre misère.
J’ai des nouvelles de ta santé par la famille, mais quoiqu’il se passe ma décision de ne plus te rencontrer est plus ferme que jamais. »
Je ne l’ai pas revu.
Je n’ai pas envoyé la lettre.
Il est mort trois mois plus tard.
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