Transgression

Bernard M.

Jour après jour le temps reste superbe. Ciel parfaitement clair, fraîcheur de l’air, mais douceur cependant lorsqu’on est au soleil. Comme lors du premier confinement qui s’est passé sous un si beau printemps, on dirait que les Dieux des Météores ont choisi de nous offrir de somptueuses journées…

Hier de nouveau nous sommes montés jusqu’au lac. Mais, alors que la dernière fois on y avait été sans préméditation, sans l’idée de monter jusqu’au lac, simplement entrainés de plus en plus loin par nos pas et par le plaisir d’être dehors, il n’en a pas été ainsi cette fois. Nous sommes partis en fin de matinée, avec l’idée d’une grande balade, lestés d’un pique-nique, avec dans la poche nos attestations de promenade et avec gomme et crayon pour modifier ce qui devrait l’être. Nous sommes montés tranquillement à pied par le chemin qui mène au lac à l’écart de la route jusqu’à déboucher sur le parking complètement vide.

Complètement vide ? Enfin presque. Une voiture seulement. Zut, les gendarmes ! N’ont-ils rien de plus utile à faire ? Ils papotent devant leur véhicule, observent la plage en contrebas. Nous arrêtons notre pas, tournons les talons et revenons sur nos pas. Un peu plus loin nous entrons dans le bois et nous rapprochons à nouveau du lac dans un endroit moins en vue. Nous nous posons un moment à la lisière de la pinède, face au lac splendide, totalement désert, une vision tellement improbable un beau dimanche hivernal comme celui-ci. Nous apercevons tout de même deux personnes aventureuses qui marchent au bord de l’eau, en pleine visibilité, puis un promeneur avec son chien, apparemment sans être inquiétés par la maréchaussée.

Il n’empêche. Nous sommes refroidis. Nous commençons à déballer notre pique-nique, mais nous ne nous sentons pas détendus. Alors nous remballons et nous éloignons du lac, amorçant la descente par d’autres chemins. Nous arrivons sur une petite éminence en plein soleil et nous nous posons là pour manger nos sandwichs. En face de nous le rocher de Berniquaut et les premières pentes de la Montagne Noire, les toits de Sorèze et le clocher Saint-Martin et quand on se lève et qu’on regarde de l’autre côté, au loin, le trait vif des crêtes pyrénéennes. On est bien. Et pourtant… Comme on aimerait aller plus loin… On a des conditions de confinement idéales, une grande maison, un jardin, cela dans une petite ville où l’on peut atteindre la pleine campagne en débordant à peine du fatal kilomètre. Mais n’empêche. Des envies d’ailleurs me taraudent. Depuis quand n’avons-nous pas voyagé, pas découverts des endroits nouveaux ? Je suis des yeux, envieux, un gros oiseau (une buse ?) qui effectue de grands cercles au-dessus de nous dans le bleu du ciel…

Nous redescendons et croisons en nous rapprochant de la ville de plus nombreux promeneurs. C’est l’heure aussi, le début d’après-midi agréable après le repas dominical. Mais aussi sans doute la plus grande proximité des habitations. Nous modifions notre horaire sur nos attestations. Et nous voici quasiment rentrés dans le cercle du kilomètre. Nous nous retrouvons dans la légalité d’après notre papier. Foin de notre excursion de trois bonnes heures et à plus de trois kilomètres de la maison !

Mauvais citoyens ? Absurdité plutôt de ces contraintes déversées d’en haut dans notre pays trop centralisateur qui préfère cela plutôt que de faire appel à la responsabilité de chacun et à l’adaptation rationnelle aux situations, à la façon dont cela fonctionne en Allemagne par exemple d’après ce que me raconte mon fils vivant à Berlin.