Voyage au temps du Covid
Bernard M.
Nous sommes partis de façon impromptue en Bretagne. Les raisons en sont tristes et le voyage s’est teinté de drôles de couleurs ne dépendant pas que des sautes d’humeur de la météo, entre les moments où nous avancions sous la pluie battante et ceux où nous circulions sous de larges éclaircies.
Nous avons fait étape dans l’agréable hôtel où nous avons l’habitude de nous arrêter pour couper le parcours. C’est en général l’été que l’on s’arrête ici, on y profite du jardin, de la piscine, du restaurant qui fait une cuisine de qualité, repas servis dehors lorsque le temps le permet. Mais là c’est l’hiver et pas n’importe lequel, l’hiver du Covid. Donc pas de repas au jardin et même pas de repas au restaurant. Nous avons sélectionné à l’avance sur internet notre menu parmi trois entrées, trois plats, trois desserts. Nous trouvons notre plateau, étiqueté au numéro de notre chambre, dans une grande armoire réfrigérante dans le hall de la réception et faisons réchauffer ce qui doit l’être dans des fours à micro-ondes. L’unique humain présent vient nous servir les deux verres de vin commandés. Puis nous rejoignons notre chambre et dégustons le contenu de nos verrines face au mur, installés tant bien que mal sur un plan de travail entre penderie et écran de télévision…
On se sent zombies parmi les zombies… Et ça va durer. À ce qu’on entend, l’épidémie ne se calme pas. Après ce crochet breton, nous allons à Paris comme prévu pour les fêtes. Les fêtes ? Drôle de contexte pour des fêtes. Enfin pas drôle du tout ! Nous sommes assommés de discours contradictoires. Il faudrait se faire tester avant les brassages inévitables. Ou pas ? Car les tests sont moyennement fiables et puis vous pouvez être négatif le matin quand vous passez le test et positif le soir. On parle des effets pervers du testing qui conduit au relâchement. Alors faut-il aller voir nos anciens ? Faut-il leur amener les enfants ? Faut-il brasser les générations ? Ou bien faut-il se terrer dans son trou ?
Non, on ne se terre pas. On y va. Mais, pour tout, on est dans une espèce de mélasse d’indétermination. On n’a pas la conviction que l’on fait ainsi parce que c’est ainsi qu’il faut faire. On fait, parce que c’est la pente, parce que c’est ce qui était prévu, parce qu’il faut bien vivre. Mais on ne sait pas si l’on fait bien…
En tout cas, nous voici arrivés ici. La mer est à cinquante mètres de la maison. À peine l’appartement ouvert, les affaires posées, nous filons au bord de l’Océan et marchons le long de la plage. Immensité de la mer moutonnante, ciel du couchant – barre noire des nuages au fond, rosés mouvants du ciel plus haut là où le soleil éclaire encore – plaisir des sensations ressenties par le corps qui se meut par lui-même après les longues heures de voiture, plaisir du vent sur le visage… Et puis la puissance du flux et du reflux qui bat à nos côtés, ce mouvement infini, éternel à notre minuscule échelle, est comme un baume qui n’efface pas, mais du moins éloigne tout ce tralala du Covid comme les tristesses plus privées qui nous ont conduits ici…