Sur Philippe Jaccottet
André Durussel
L’ouvrage d’un regard d’heure en heure affaibli
n’est pas plus de rêver que de former des pleurs,
mais de veiller comme un berger et d’appeler
tout ce qui risque de se perdre s’il s’endort.
(L’Ignorant, 1958)
La récente disparition à l’âge de 95 ans du poète et traducteur Philippe Jaccottet, le 24 février 2021 à Grignan, où il résidait à partir des années 1950, laisse un immense sentiment d’abandon chez tous les lectrices et lecteurs de sa poésie. Mais son œuvre va lui survivre, cela même si elle a toujours été celle de l’effacement. C’est ainsi que deux ouvrages posthumes vont être encore publiés dans la célèbre collection Blanche de Gallimard, complétant ainsi ses Œuvres complètes à la Bibliothèque de la Pléiade.
Philippe Jaccottet n’a jamais été porté sur et par l’autobiographie. Cependant, à l’âge de 83 ans, conseillé et pressé par quelques amis, il confiait en 2008 aux Éditions Empreintes une petite Suite moudonnoise fort savoureuse. Ainsi ce Retour à Moudon dont voici un extrait :
En septembre 2001, ma ville natale, ayant décidé de créer un Prix littéraire, m’a fait l’amitié de me choisir pour premier lauréat. Je n’ai vécu à Moudon, où mon père exerçait la profession de vétérinaire, que huit ans, de 1925 à 1933. Or, la remise de ce Prix, ou plus exactement l’occasion qu’elle m’a donnée de passer deux jours dans cette petite ville où je n’étais pas revenu depuis ma dernière visite à Gustave Roud, en 1977, très peu avant sa mort, m’a apporté quelque chose qu’aucune autre fête du même genre m’avait offert : quelque chose de tout à fait inattendu, quelque chose d’assez intime et d’assez touchant pour que me soit revenu presque aussitôt après le désir d’en parler (on voit qu’il m’aura fallu du temps pour passer à l’acte).
C’est, à l’évidence, que ces deux journées ont réveillé chez quelqu’un qui n’a jamais eu le goût, ni l’art de se souvenir – pour des raisons qu’il lui importe peu de sonder –, quelques images de ces années d’enfance qu’il me semble pas tout à fait vain, aujourd’hui, de recueillir.
(Retour à Moudon, p.61)
L’œuvre écrite de Philippe Jaccottet est à redécouvrir et à approfondir encore. Parce qu’elle effleure, mais en profondeur, cet « illimité » que seule la poésie peut nous offrir.
Internet
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RTS : entretien vidéo
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La Pierre et le Sel : Philippe Jaccottet, De la Poésie