Ne pas oublier
Nadine P.
Je ne les avais pas attendus, bien au contraire. J’avais oublié qu’ils seraient là, un matin, et qu’à ma grande surprise je serais totalement désorientée de me rappeler que c’était bien le moment, qu’ils n’arrivaient pas par hasard et que seules mes émotions avaient fait disparaître d’un horizon probable leur venue.
Les bourgeons se sont présentés à moi lors d’une promenade, j’en ai stoppé ma marche. La rivière coulait en arrière-plan, les hérons me guettaient sans bouger sur le talus d’en face. Immobile, je regardais ces marques du printemps et mon cerveau ne réussissait pas à remonter le temps : qu’ai-je raté ? Qu’ai-je oublié de ces semaines et jours passés pour en arriver à cette stupeur ? Une éclosion en rappel bouleversant, sortie d’un tunnel noir autour, couleurs promises au-devant.
Depuis, 10 jours ont passé et cet étonnement a refait place quand les fleurs d’un rose vif ont entouré les branches de l’arbuste devant ma fenêtre. Même stupéfaction matinale !
J’ai emprunté des mots, ceux des poétesses et des poètes pour partager les moments douloureux et absurdes dernièrement. J’ai fait partie de rencontres où la poésie était clairement posée pour vibrer dans ce mois qui le suggère chaque année et pour lutter contre les groupes qui se séparent et s’éloignent brutalement, faire corps dans le corps du poème et dans l’étrangeté de ce qu’il exprime pour l’un(e), l’autre, si différemment, confusément, et en ressentir une même émotion cependant, ensemble.
J’ai su lorsque j’ai vu les fleurs se déployer les jours suivants que dans ce monde fou, j’avais confié délibérément aux rêveuses et rêveurs, créatrices et créateurs des mots en vers ou en prose qui coulent ou heurtent le papier, de quoi me donner une force et un dédouanement du temps pour affronter l’indicible, la haine, la guerre, les réfugiés triés d’un territoire à l’autre. « Ah, mais on n’accueille pas n’importe qui ! » Tenter dans ce flot de retrouver ma propre berge.
Je me suis souvenue devant ces fleurs roses que le printemps revenait toujours, pas indifférent comme j’ai pu le soupçonner, ayant presque honte d’observer ces marques joyeuses.
Revenue la « saison gaie » comme un aidant subtil, un bénévole discret, un traducteur incognito.
Alors seulement j’ai pu accepter d’être heureuse de la revoir.