La rédaction redoutée

 Roseline C.

J’ai toujours aimé l’école, j’ai voulu y aller, j’attendais la rentrée avec impatience mais « Racontez votre plus beau souvenir de vacances » a pendant longtemps rythmé la rentrée scolaire en primaire, première rédaction de l'année. Je redoutais ce moment car nous ne partions quasiment jamais en vacances. Honte de ne pas être comme les autres alors je racontais des vacances imaginaires. Je ne pouvais pas écrire l'étirement du temps pendant ces lourdes journées d'été à attendre que les copines reviennent. Je rêvais aux montagnes que je n'avais pas encore vues. Les nuages devenaient des sommets aux neiges éternelles ou des îles au milieu de la mer. Parfois mes yeux se remplissaient de larmes ressentant comme une injustice à cette situation.

Aujourd'hui je me dis que j'aurai pu écrire mes voyages immobiles, mes voyages intérieurs. Je n'ai pas osé me distinguer. En fait ces étés n'étaient pas creux, ils étaient différents, riches de mots, d'aventures. C'était des moments de lecture intense. J'ai dévoré "Le club des cinq" dans la bibliothèque rose, "Les aventures d'Alice" dans la bibliothèque verte, il y avait aussi la collection Rouge et Or, les Contes et Légendes et puis Pif le Chien livré le dimanche avec l'Humanité.

Les livres m'ont permis de supporter ces "grandes vacances" en attendant avec impatience la rentrée scolaire. Une évasion. Un temps hors du temps. Impossible de m'en extraire je lisais, je lisais d'une seule traite au grand dam de ma mère qui aurait aimé que je les fasse "durer" plus longtemps ces livres compte tenu du prix. Elle m'a rapidement inscrite à la bibliothèque.

 Tout le temps où j'ai vécu chez mes parents les livres m'ont permis de gagner des moments d'intimité, de m'extraire de l'atmosphère étouffante qui souvent régnait dans cet appartement étroit où nous vivions à cinq. Pas de chambre à soi. Véritables espaces de liberté. Un autre monde s'ouvrait, m'absorbait.

 Depuis, les livres ne m'ont jamais quittée, ont souvent été un refuge dans les moments difficiles pour mettre à l'écart la souffrance, oublier la solitude, ne plus penser. Véritables compagnons qui m'aident à vivre.

 Dans Trouver sa source Charles Juliet écrit : " Lire un bon livre, c'est éprouver pendant des heures un plaisir des plus intenses et qui touche aux profondeurs de l'être. Un plaisir qui nous arrache au temps, efface ce qui nous entoure, nous maintient dans l'attente avide de ce qui se propose à la découverte. Ceux qui aiment la littérature ont tous vécu grâce aux livres des heures inoubliables. Des heures où un ouvrage les a bouleversés, révélés à eux-mêmes, conduits sur de nouveaux chemins.

 Il est des livres qui m'ont foudroyé, ont déplacé mon centre de gravité, modifié ma perception de la vie."

 Si je redevenais enfant je commencerai ma rédaction par Quand je suis arrivée dans le détroit de Béring… Je me souviens avoir lu un livre qui en parlait et qui m'avait impressionnée.

 Il vaut mieux garder ses souvenirs d'enfance en soi,
plutôt que de tenter de les vérifier.
Gao Xingjian - La Montagne de l'âme

 L'enfance est une chose étrange,
à la fois adorable et exténuante, un trésor et un chaos.
Christian Bobin - Geai

Il reste toujours quelque chose de l'enfance, toujours...
Marguerite Duras - Des journées dans les arbres