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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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22 juin 2022

La distribution des prix

 C.P.

 logo_nos_ecolesAu temps où je fréquentais la « grande école » si nous ne rentrions en classe que le premier octobre, nous ne partirions en vacances que le 14 juillet après la distribution solennelle des prix qui, souvent, avait lieu la veille. J’ai même souvenance qu’étant à la « petite école », les vacances ne commençaient qu’au début août, témoins ces fiches qu’on glissait dans les livres offerts. La mienne m’étonne à un autre titre : je n’aurais jamais pu me rappeler sans elle que le calcul et l’écriture m’avaient valu un jour une récompense. J’avais cinq ans.

 Après l’examen du Certificat d’études qui avait lieu à Envermeu entre le 15 et le 20 juin, les cours de Monsieur Fontaine étaient un peu relâchés. L’essentiel des activités était consacré à la préparation de la fête des prix. Le chant, omniprésent à longueur d’année scolaire, était alors roi. Le matin, nous répétions les morceaux que nous devions présenter choisis dans le répertoire de l’année. Le fameux « Ode à la joie » « Hymne des temps futurs » était souvent à l’honneur. Mais il y avait aussi des mélodies bretonnes : « La chanson du pêcheur (La voile bien gonflée) », « Vive la rose (et le lilas) », puis « La fin du juste » (Le sage exempt d’envie…) « L’âne et le loup (Landéralidère) »… Et nous en apprenions de nouveaux, rondes et saynètes qui donnaient lieu à des déguisements somptueux en étoffe et crépon. Ainsi « les Noces du Papillon ». Je revois encore le magnifique lépidoptère, les quatre ailes parées de couleurs brillantes, la Fourmi qui fournissait pour le repas « les grains de blé et les vertes cosses », le Limaçon qui, en cadeau de mariage, cédait sa maison. L’abeille d’Or offrait le dessert, la Cigale et le Grillon, le fifre et la timbale pour le bal. Enfin, le Ver luisant brillait de mille feux. Il y eut aussi « La farce du cuvier » rejouée plusieurs années. Sur un vieux cahier de brouillon, j’ai retrouvé « le Chœur des Lavandières et Perrette » imitation de la fable de La Fontaine, interminable avec ses nombreuses rondes : la ronde du linge sec avec, tour à tour, les chemisettes et les petits jupons, les blousettes, les tabliers, chaussettes et essuie-mains, taies d’oreillers…

 « Sèche jupette, sèche jupon,

 Chemisettes pour les fillettes,

 Pantalons pour les garçons. »

 L’après-midi, après la récréation de quinze heures, nous nous partions en rangs à la petite école et là, nous répétions les chants et les sketches appris le matin. Madame Fontaine habillait les petits acteurs, coupait, épinglait, ajustait, rectifiait, se mettait ensuite au piano tandis que son mari dirigeait la mise en scène. L’estrade servait de plateau d’évolution. À gauche, décollé du mur, le piano sur lequel s’entassaient en piles vertigineuses les beaux livres rouges à tranche dorée formait un écran derrière lequel se cachaient les coulisses. Soixante-dix, quatre-vingts élèves s’entassaient dans cette classe enfantine et finissaient par s’agiter, énervés par cette attente fiévreuse. Mais alors les verbes tombaient dru et les menaces d’être exclu de la fête arrêtaient toute velléité. Je ma souviens qu’une année, un de mes camarades, il est vrai des plus turbulents, Jean Carpentier, fut renvoyé chez lui et privé de la cérémonie. Le laxisme n’était pas toléré à l’école de Saint Vaast d’Equiqueville.

 Cette fête de fin d’année scolaire était toujours un grand événement pour la Commune. La réputation des instituteurs était établie depuis longtemps à des lieues à l’entour. Le jour arrivé, la salle était comble, car le spectacle était toujours apprécié. Monsieur et Madame Fontaine essayaient de faire participer d’une manière ou d’une autre le plus grand nombre d’enfants, et les parents étaient ravis de voir leur progéniture en vedette.

 Puis venaient le discours du Maire – longue exhortation au travail suivie des félicitations aux maîtres et aux élèves et des souhaits d’heureuses vacances pour revenir le premier octobre plein d’ardeur nouvelle, – et la distribution des prix. Sur l’estrade où l’on avait aligné les chaises, onze, je crois, s’asseyait le conseil municipal au complet. Au centre, dans le seul fauteuil, trônait Monsieur le Maire, mon grand-père, ce qui ne me rendait pas peu fier. À l’appel des lauréats fait par Monsieur, Madame remettait gracieusement et révérencieusement le volume à l’un d’entre eux. Le premier de chaque « division » – nous ne connaissions pas le mot « cours » – avait l’honneur insigne de recevoir le sien des mains du premier magistrat de la commune. Il le prenait poliment comme on le lui avait appris, mais le généreux donateur ne le lâchait pas avant de l’avoir embrassé sur les deux joues et placé son petit mot d’encouragement. Les suivants recevaient le leur des mains des conseillers, adjoints d’abord, un à droite, puis un à gauche, en s’éloignant toujours du centre. La joie du jour était un peu mêlée de tristesse quand il fallait aller aux extrêmes — qu’elles fussent gauche ou droite. J’ai dû parfois embrasser ainsi Monsieur le Maire. Ce n’était pas sans doute du fait du prix d’Honneur ou d’Excellence-je ne n’ai jamais su lequel avait la primauté — que je ne me souviens pas d’avoir décroché un jour à l’école primaire, me contentant d’un cinquième ou sixième prix d’Ensemble. Mais, quand tous les conseillers avaient eu leur tour, il fallait bien revenir à Monsieur le Maire avec la douzième, et là, j’ai peut-être bénéficié de certaine faveur en raison des liens familiaux. Je tombais aussi souvent sur mon arrière-grand-oncle Eugène, sur un cousin, tant l’assemblée communale était une affaire de famille.

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 La distribution terminée, les commentaires allaient bon train. Chaque petit bout d’homme ou de femme se promenait un bon moment, à côté de ses parents, avec son beau livre rouge. À la grosseur du volume, et aussi à la quantité – car il y avait des prix de classement, des prix spéciaux, d’assiduité, de camaraderie, d’ordres du jour, etc. – on pouvait savoir si le bonhomme était bien classé ou non.

 Plus tard, quand je fus nommé à mon tour instituteur dans une petite campagne du même canton, je dus organiser de semblables fêtes. Mais j’avais toujours un peu honte de mes productions en pensant à mes valeureux instituteurs, aux talents si divers.

 Elles ont été supprimées depuis, à tort ou à raison. À raison sans doute quand je pense à ce parent d’élève qui redoutant de voir son rejeton recevoir un misérable prix en avait acheté un énorme et l’avait apporté à la directrice en lui demandant de le remettre à son fils à la place de celui offert par la municipalité.

 Mais elles ont gardé pour moi le goût des choses surannées.

 

Texte de Jean-Paul Levasseur – Extrait du dossier 1923-1936 – Transcrit par sa fille C.P.

 

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