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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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12 octobre 2022

Une autobiographie littéraire contemporaine

 André Durussel

 Ce billet est constitué de quelques entrées du journal littéraire autodidacte qu’André Durussel a tenu de novembre 2000 à novembre 2001 lorsque l’âge de la retraite professionnelle est venu pour lui. Ce ne sont que quelques extraits d’un ensemble dont il fera bénéficier l’APA ultérieurement.

Lundi 4 décembre

 20221012gds-mots_adurussel_une_autobiographie_litteraire_contemporaineIl ne faudrait jamais confondre le bruissement ténu du temps, celui qui s’entend lorsqu’on prête une oreille attentive à ce que l’on traverse, et la vibration littéraire (ou la buée poétique) qui en résulte, et que l’on essaie de mettre sur le papier. De là vient peut-être cette ambition d’écrire une sorte d’autobiographie, mais une autobiographie située précisément au carrefour de ces deux pôles, à la manière d’Elie qui se tenait debout devant la caverne de l’Horeb où il s’était précédemment réfugié et d’où il voit finalement passer le bruissement d’un souffle ténu (1 Rois 19, v.12), ce célèbre qol demama daqqa en langue hébraïque, si magistralement développé par Michel Masson dans son ouvrage intitulé « Elie, ou l’appel du silence » (3). Essayer d’être à mon tour un « Abel la Buée ».

Une autobiographie littéraire contemporaine, c’est peut-être aussi, aujourd’hui comme autrefois, le galetas de la mémoire, cet endroit où l’on dépose les choses qui peuvent encore servir, qui sont semi-vivantes, comme les désignent les spécialistes de l’archivistique.

 Remarquons aussi d’emblée que, dans le domaine de l’Histoire par exemple, le terme de « contemporaine » désigne précisément l’époque actuelle, mais avec une année de départ généralement admise en 1789. D’où l’immensité du champ de références au sein duquel je vais tenter d’avancer à tâtons afin de dresser cet échafaudage personnel à l’ombre duquel je me tiens désormais en cet hiver 2000-2001, comme le petit prophète Jonas se tenait auprès de son ricin.

 Or, cette plante causa une grande joie à Jonas (Jon. 4, v.6). La remarque biblique n’est pas anodine, et cela même si cette joie a été éphémère pour ce fugitif.

 

Mercredi 6 décembre

 En exergue à ce journal, j’hésite encore quant au choix de l’épigraphe à y placer, non pour faire sérieux ou érudit, mais pour qu’elle soit comme un portail entrouvert. Un portail qui invite le lecteur à pénétrer dans une propriété privée au fond d’une avenue bordée de grands arbres.

 Il y a en effet un gros piège à éviter, c’est celui de la nostalgie, celui-là même que le titre de ce journal semble suggérer au premier abord. L’exemple qui me semble illustrer le mieux cette nostalgie issue de la culture populaire, c’est le texte de la célèbre chanson de Charles Trenet, composée au début des années cinquante et intitulée : « Que reste-t-il de nos amours ? » :

 Ce soir
Le vent qui frappe à ma porte
Me parle des amours mortes
Devant le feu qui s’éteint.

Ce soir
C’est une chanson d’automne
Dans la maison qui frissonne
Et je pense aux jours lointains.

Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse.

Que reste-t-il des billets doux,
Des mois d’avril, des rendez-vous ?
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse.

Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela ?
Dites-le-moi.

Un petit village, un vieux clocher
Un paysage si bien caché
Et dans un nuage, le cher visage
De mon passé.

 La nostalgie, c’est effectivement une tristesse vague causée par l’éloignement de ce que l’on a connu, par le sentiment d’un passé à jamais révolu ou d’un désir insatisfait. C’est souvent aussi un assemblage de clichés. Or, la nostalgie a des effets inhibiteurs. Elle ne favorise ni le dynamisme ni le besoin de créer, de découvrir ou d’inventer. Si, avec le psalmiste biblique, il nous faut « apprendre la vraie mesure de nos jours » (Ps. 90, v.12) ou encore à « compter nos jours » en vue d’obtenir la sagesse du cœur, ce n’est pas pour s’y appesantir ni pour compter à la manière d’un comptable.

 À la question : « Que reste-t-il de nos amours ? » j’ai plutôt envie de répondre : tout ! Mais en précisant aussitôt que ces amours, inscrits précisément pour le couple que nous formons actuellement dans une continuité de plus de trente-deux années, sont peut-être un privilège, mais sans grand mérite de notre part, tandis que la fragilitéde ces amours semble s’accroître avec l’âge. Il en va de même avec mes amours pour la poésie et la littérature. Quant à mai 1968, nous y reviendrons peut-être à d’autres occasions dans ces pages.

 

Jeudi 7 décembre

 C’est finalement auprès du logicien britannique d’origine autrichienne Ludwig Wittgenstein (1889-1951) que j’ai trouvé la citation qui me semble le mieux convenir à ce journal d’une année que j’ai décidé de tenir. Dans un texte publié dans « Remarques mêlées » en 1930, il écrivait ceci :

J’ai dit un jour et peut-être à juste titre que, de l’ancienne culture, il ne restera qu’un tas de décombres, et pour finir un tas de cendres, mais il y aura des esprits qui flotteront sur ces cendres. (4)

 Il ne faut pas voire là une forme de spiritisme échevelé ou une prétention démesurée de ma part. Je ne suis pas un pur esprit. S’il m’arrive, en écrivant ces lignes, de flotter parfois sur des cendres comme d’autres « marchent dans du sable » (Maurice Chappaz), j’apprécie aussi et surtout ici l’ironie des propos de Wittgenstein. Des propos qui s’inscrivent parfaitement dans cette « Ironie viennoise » si magistralement analysée par Daniel Wilhem dans un essai publié il y a quelques années :

C’est une ironie qui ramène l’écrivain au moment exact où il lui faut choisir,
avec et contre son temps, entre diverses écritures romanesques ou spéculatives,
dramatiques ou lyriques, épiques ou aphoristiques.
(5)

 Précisons encore ceci : aujourd’hui, Pierre-Yves Lador et Claire Krähenbühl ajouteraient certainement à cette liste l’écriture aphrodisiaque, ou plus précisément érotique.

 

Vendredi 8 décembre

 « S’affranchir de l’historicisme, c’est-à-dire de cette méthode historique appliquée à l’histoire de soi. Privilégier la “mémoire involontaire” en laissant l’oubli faire son œuvre de tri. Donner la haute main à la mémoire affective. » Ces trois conseils de Jacques Le Rider sont importants. Parce que cette « mémoire affective », c’est là où se tient aussi la poésie, ces « minutes heureuses » chères à l’écrivain Georges Haldas et empruntées par lui à Charles Baudelaire.

 De plus, en laissant ainsi l’oubli faire son œuvre purificatrice, on évite le ressentiment, la tentation d’écrire pour se faire aimer ou se justifier, ou encore celle d’écrire contre des personnes.

 « Remettant à Dieu le jugement des cœurs… » Cette célèbre phrase de l’article 4 des principes constitutifs du Règlement ecclésiastique de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud du 20 novembre 1999 n’est pas une formalité officielle vide de sens.

 Écrire, c’est essayer d’ajouter sa voix à celles qui célèbrent la beauté du monde. Mais un monde d’ici, contradictoire et paradoxal, fait de petits bonheurs et de grands malheurs, de changements permanents, de drames collectifs ou individuels, de lourds silences et de profonds mystères, tous inscrits dans une sorte de cadre non pas rigide ou fatal, mais de plus en plus poreux, aéré, fragile et transparent, laissant parfois entrevoir cet illimité si fréquemment évoqué par Philippe Jaccottet et par d’autres grands poètes ou mystiques de tous les temps.

 Autrement formulé : il ne faudrait jamais écrire pour régler ses propres comptes envers soi-même, la société ou ses adversaires. Il y a des fiduciaires pour ce travail-là. Ou des comptables. Ou même des terroristes… Ceux qui se permettent de juger les cœurs, et tuent par représailles celles et ceux qui ne correspondent pas à leurs normes socioculturelles.

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Fonds photographique Gustave Roud/Subilia, BCUL, AAGR avec leur autorisation

 

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Commentaires
B
Ce court extrait témoigne bien de l'intérêt de votre journal qui en effet aura toute sa place à l'APA. Ne manquez pas d'en faire le dépôt, comme vous l'annoncez en début de billet.
Répondre
B
C'est sûr, un tel journal aura pleinement sa place à l'APA.
Répondre
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