Divagations d’une journée de soleil
Catherine Bierling
Enfin, un jour de soleil
Éblouit mon regard de taupe
Enfouie sous les terres
Depuis des années-lumière
Petit vent d’est
Agite la pointe des herbes
Les Vosges, tapies
Derrière un rideau de brumes blanches
La neige, remontée vers les sommets
Nous feint un petit printemps frisquet
Chandeleur
Est passée
Soleil
Reprend son invincible ascension
Rien ne l’arrête
Pas même les morts terribles
Qu’a causé la terre
En se secouant
Comme un chien mordu
De puces insatiables
La terre qui ne sait
Rien
De nos bêtises innombrables
Qui nous mord
Comme le lion déchire la gazelle
Et nous ajoutons nos meurtres chaque jour
Sur l’addition morbide
De la terre qui n’en finit pas de bouger
Si les puces s’entredévorent
Cela ne change pas grand-chose
Au final
Elle nous avale tous entiers
Le soleil se remet pourtant à luire
Car c’est l’époque du renouveau de février.
Si je volais
Je volerais comme le héron
À grands coups de rames poussives
Pour m’élever jusqu’aux cimes
Contempler de haut le marais
Où s’ébattent les grenouilles
Mais à mon aile blessée
Manque la force
La terre réclame lentement son dû.
Mon corps
Soutiens-moi
Il y a encore des étoiles
Que je n’ai pas explorées
Tiens-moi encore bonne compagnie
Sois mon ami !
(Puisque nous sommes siamois
Mon corps et moi…)
Dormir est un tel bonheur
Mourir une telle frayeur
Quand le sommeil règne sur moi
La paix est imprenable
La peur, cependant, gâche les nuits de veille
Où se trouve la paix éveillée ?
La légèreté ancienne de l’enfant ?
À peine un souvenir, une fumée
Mais un nouveau jour de soleil
Éblouit mon regard
Pour un instant rasséréné.
(« Mon âme du petit matin n’a plus d’ascenseur
Pour monter d’un coup d’ailes à la lumière. »
René Depestre )