Mémère Charlotte
C.P.
Je ne l’ai connue que comme « veuve Delançois ».
Charlotte est mon troisième prénom.
Elle était ouvrière chez Bayard à Saint Nicolas d’Aliermont.
Quand j’étais petite, Rémy mon oncle et parrain vivait encore chez elle.
Il est parti à la guerre d’Algérie, fiancé, en 1952.
Son scooter faisait mon admiration.
On venait régulièrement la voir
– mes parents étaient alors instituteurs, d’abord à Dieppe puis à Auquemesnil — .
Sa maison était assez froide à l’époque, uniquement chauffée par le fourneau à bois.
On vivait dans la cuisine.
La salle à manger ne servait que rarement, trop froide.
Sur un napperon, sur la table, régnait un magnifique capillaire.
Dans une petite pièce, à côté, en face d’une grande glace
Se cachait un harmonium
– C’est Henriette, sa sœur qui en jouait tous les dimanches à la messe — .
Elle était croyante ; une année, elle m’avait emmené à la messe de minuit ; j’étais très émue.
J’ai hérité de son service à dessert
Chaque assiette est décorée d’une scène enfantine
(collection faite à un marchand ambulant)
Celle que je préfère est évidemment celle qui annonce l’arrivée du Père Noël sous la neige.
Je me rappelle qu’elle m’emmenait à la ferme chercher le lait, la crème et les œufs.
Son gros pain avait une odeur et une saveur particulières.
Elle cultivait un assez grand jardin : pommes de terre, carottes, radis, haricots…
qu’elle conservait dans des bocaux.
Au fond, les groseilles qui me tentaient tant
Des fraises aussi sur les bordures.
Au-delà, il y avait le cabinet, le poulailler et les clapiers à lapins,
des bâtiments et deux citernes.
Enfin, dans le champ de pommiers où il y avait parfois des vaches
poussaient des violettes à foison.
Mon oncle Rémy avait installé une balançoire et un trapèze qui faisaient notre bonheur.
Je me souviens aussi de la petite auto rouge à pédales dont j’étais si fière.
Devant la maison, une rangée de fuchsias dont je faisais éclater les bourgeons.
Le soir, nous montions l’escalier,
je me fourrais sous les édredons, les pieds contre la bouillotte.
Dans la grande chambre, sur le couvre-lit,
trônaient de magnifiques poupées aux robes étalées.
C’étaient les gros lots de la foire de Dieppe que ma grand-mère avait réussi à gagner
au prix de multiples piécettes et tickets gagnants roulés.
Dans un recoin, la table de toilette avec cuvette et broc à eau en faïence, assortis.
De nombreux flacons de parfums de rose et de violette, des vaporisateurs décorés.
Encore au-dessus, un escalier sombre menait au grenier
où s’entassaient des cartons de jouets anciens, de vieux tissus.
De la petite lucarne, on surplombait le jardin et ses alentours.
À l’hôpital de Rouen, je te donnais des quartiers de mandarines un a un
Tu es morte le lendemain.
Mémère Charlotte, née le 13 mai 1898
Décédée le 30 novembre 1980