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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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28 juin 2023

Même sans mémoire, lisez !

Nadine P.

20230628gds-vie-npic_meme_sans_memoire_lisez1Il y a une semaine, rendez-vous au Service mémoire du CHU.

Un infirmier coordinateur fait le premier entretien. On se croirait dans une mise en abîme avec échanges programmés en vue d’une embauche, strates diverses du personnel qui nous reçoit, mais il n’en est rien. Il m’explique être en troisième année de médecine, pas médecin, mais presque. Sa formule.

Je viens me rassurer, je suis là pour qu’on me dise : mais non Mme P. tout va bien, c’est l’âge… Ce qui en soit n’est déjà pas une bonne nouvelle, mais je veux bien l’entendre, enfin, je crois.

Je ne sais pas si les études de médecine comprennent une option, seulement une option « psychologie du patient », mais je vais militer pour. À moins qu’elle ne soit enseignée qu’en quatrième année, ça doit être ça.

Entretien, question/réponse sur ma vie, le pourquoi de ma venue, les oublis repérés et au bout d’un quart d’heure, il me dit sans précaution : « Ce n’est pas bon, Alzheimer pas forcément, mais quelque chose d’approchant. »

Quel nom à l’enclume qui se rapproche de ma tête ? Elle va vite cette comète.

Souriant, il m’indique la salle d’attente pour voir la spécialiste.

Je suis restée là dix minutes ou une vie ?

Les enfants, comment je vais le dire à mes enfants ? Leur père au loin a déjà la maladie de Parkinson et moi je vais déserter le navire aussi ?

La spécialiste est accompagnée d’une stagiaire qui oscille la tête à chacune de mes réponses.

Les tests sont simples, mais je ne les réussis pas tous.

Rendez-vous programmé, IRM et autres examens à faire. Ce médecin semble cependant moins alarmiste alors je m’y accroche, tous les signes me parlent d’un meilleur avenir, je repars rassurée. Pourquoi s’en faire ?

Mon médecin traitant, elle, enfoncera le clou deux jours plus tard : elle n’est pas optimiste, elle dit que je compense apparemment depuis longtemps. Ils ont les formules assassines cette semaine. Elle veut qu’on avance les examens le plus tôt possible.

Mes jambes sont lourdes au sortir du rendez-vous. La première pensée qui me vient ce sont mes livres ! « Lisez, lisez, même si vous ne vous souvenez pas, ça vous aidera ! » J’avais entendu au CHU ces mots, mais je les avais laissés passer, ils ne me concernaient pas, pourtant ils étaient déjà bien là.
Lire sans retenir, lire sans savoir ce qu’on a lu quelques jours plus tard ?

Le lendemain j’ai pris deux grands sacs et j’y ai jeté les premiers ouvrages, les faciles, ceux qu’on a le moins de mal à extraire de sa bibliothèque pour les donner. Puis sont venus ceux qui se rebellent, surtout les premiers jours. Je patienterai, il y en a encore beaucoup.

20 kg, me dit l’homme de la recyclerie qui pèse tout ce qu’on leur donne. Je souris. Cette nouvelle me fait plaisir curieusement.

47 ans, 47 ans que je promenais de déménagement en déménagement les livres de San Antonio de mon père, seules reliques d’un héritage matériel.

J’ai demandé à mon fils aîné non pas l’autorisation de m’en séparer, je suis plus indépendante que ça, mais si ça l’intéressait de les récupérer pour mémoire d’un grand-père qu’il na jamais connu.

Non, ça ira !

Je ne lui dis rien d’autre, ni à son frère, ou vague allusion d’examens à faire.

Je veux alléger ma bibliothèque ou plutôt mon futur.

20230628gds-vie-npic_meme_sans_memoire_lisez2Je n’ose me questionner plus, plonger dans ce vide sidéral que peut être la perte de mémoire, la mienne. Cela ressemble-t-il à l’univers que je côtoyais lorsque je plongeais sans bouteille dans l’océan Indien au milieu des coraux et des poissons inconnus, les tortues géantes passant près de moi, indifférentes à ma présence ? Couleurs, sons, élément liquide et bonheur absolu, pourquoi me vient ce parallèle si lointain ?

Je plongerai ? Je lâcherai prise ?

Dans cette immensité qu’est mon cerveau étrange et étranger, ce nouvel inconnu ne m’offre pas encore de réponse.

Septembre ou octobre seront les prochains rendez-vous, les prochains tests liés à mon parcours, mon niveau d’études ou mon environnement familier. Je comprends en quelques mots que tout le monde n’a pas le même questionnaire. Normal ! Je mets à l’aise la spécialiste qui cherche les mots pour le dire. Tous ces mois devant moi, l’attente sera longue, elle est dorénavant la complice de la santé. Mais l’angoisse est la compagne de qui ?

La suite pour le pronostic est tardive, les médecins sont débordés, les rendez-vous de spécialistes rares. J’attendrai l’automne et, dans cette attente impuissante, je lirai, oui je lirai ! 

 

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Commentaires
N
Vos mots, tous les mots qui arrivent encore dans vos commentaires dessinent à distance la communauté bienveillante que nous formons autour de nos vies regardées de plus près, par l'autobiographie en partage, autour de thèmes et de contours qui nous troublent, nous enchantent ou nous bousculent. Le recul vient à la lecture, parfois même de nos propres mots. Écrire et lire, Merci, merci.<br /> <br /> Nadine
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C
Voyant le nombre de réactions au billet de Nadine, on constate combien ce sujet nous touche!. Je voudrais ajouter aussi mon encouragement à la lecture , tout comme à l'écriture, même si cela ne représente évidemment pas la solution ultime, cela permet le partage et l'empathie.<br /> <br /> J'ai lu dans le monde des livres du 30 juin un article sur un livre de Dominique Fourcade:"Flirt avec elle" cette citation qui me parle beaucoup:<br /> <br /> "La guerre est sans issue, l'amour est sans issue, la mort est sans issue, mais l'écriture permet dans une sorte de vertige, une forme d'évacuation." J'émettrais quelques réserves à propos de l'amour et de l'amitié, mais l'écriture et la lecture nous aide et nous entraide, c'est certain! Lisons et écrivons! Et courage à Nadine!
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A
Pour Nadine P.,<br /> <br /> Il y a plusieurs sortes de mémoires. Celle qui est visuelle tout d'abord, celle enregistrée dès notre enfance et qui, avec le troisième âge, redevient parfois extrêmement précise, alors que l'on oublie aujourd'hui ce que l'on a fait ou mangé hier ou avant hier... Or la lecture d'un bon roman demeure et demeurera toujours un enrichissement durable, bien plus que tout ce que la télévision et ses multiples chaînes nous offre et nous ... enchaîne chaque jour. Cela est aussi néfaste pour les enfants. En 1913, François Mauriac publiait son premier roman: "L'enfant chargé de chaînes"... bien qu'il ne s'agissait pas de ces chaînes-là ! <br /> <br /> Il y a enfin la pratique régulière de l'autobiographie, même si elle ne sera jamais publiée, qui est un merveilleux outil que nous offre l'APA pour aller de l'avant et "engranger" tout ce que l'on découvre chaque nouveau jour. En somme, une gymnastique bénéfique.<br /> <br /> Bien amicalement:<br /> <br /> André D. (bientôt 85 ans...)
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N
Je ne savais pas que ces mots postés m'attendaient là.<br /> <br /> Merci à toutes et tous pour votre soutien et vos billets si bienveillants, vos conseils également dont je me rapprocherai.<br /> <br /> Pour ce qui est de la question "pourquoi se débarrasser des livres", m'alléger de cette manière pour ne pas poser chaque jour le regard sur trop d'ouvrages dont je ne me souviens pas m'a paru, ce jour-là, une belle méthode. Il m'en reste suffisamment !
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P
Chère Nadine, trois jours déjà que je diffère le commentaire de votre billet car il fait écho à mes questionnements et les émotions suscitées sont trop envahissantes! Sachez que je vous trouve vraiment courageuse d'affronter tous ces tests et ces supposés soignants car d'autres, dont je fais partie sont plutôt du genre à faire l'autruche et à ne surtout pas vouloir mettre une étiquette sur leurs maux. Je note que vous allégez votre bibliothèque et ainsi votre futur dites vous, je vous souhaite donc de belles nouvelles lectures. Je dis souvent en souriant que deux livres me suffisent jusqu'à la fin de mes jours car lorsque je referme le second, je re-ouvre le premier avec le plaisir de la découverte car je ne me souviens pas de l'avoir lu !!! Bien amicalement.
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