À mes fils !

Nadine P.

Il y a des mois de l’année où les dates ont en elles des marques indélébiles, passé et présent en image miroir.

Je songe par exemple au texte de Pierre et à la date anniversaire du décès de son père évoquée. J’ai écrit également quelques lignes sur le jour commun de la mort de Brassens et de mon père à des années de distance.

Calendrier perpétuel de nos vies personnelles, place faite à d’autres dates, notamment les naissances et anniversaires à tout jamais liés, fêtés les années suivantes pour soustraire ce jour à la banalité ou à l’indifférence des 364 autres.

Demain, mon fils a sa propre date !

Je suis chaque année, comme pour son frère, dans une émotion particulière lorsque ce jour approche et qu’il est. Me reviennent parfois des moments précis, vécus pour cette fois il y a presque 30 ans, le « presque » a son importance, mais bien souvent c’est le ressenti d’un bonheur indescriptible qui s’impose, qui me frappe à nouveau comme une part importante du bilan de ma propre existence. La chance de cheminer à leurs côtés, de les entendre rire et de les soutenir quand la vie les plaque au sol, de même eux vis à vis de moi.

Pensant à demain, voyant le parcours difficile que H. a dû affronter depuis des années et la lumière qu’il découvre enfin à force de courage, j’ai eu envie de relire au petit matin le poème de Rudyard Kipling « Si ».

Quelques larmes coulent dans mon thé. Vivement demain !

Et, sans savoir à l’avance que j’écrirais, j’écris...

  Rudyard KIPLING

Si…

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Traduction d’André Maurois