Tremblement du temps
Phrasie
« Assise sur la petite chaise devant le petit bureau que Daphné occupe en classe », a écrit Anne-Claire le 26 septembre dernier dans l’un de ses billets en parlant de la rencontre parents-instituteurs de l’école de sa fille. Je voulais lui répondre de suite et lui dire combien cela était évocateur pour moi, mais Dieu seul sait où passe le temps, je ne l’ai pas fait.
Voici qu’aujourd’hui mes pensées retournent vers la classe de 4e où il y a dans ma mémoire une histoire de parents assis sur des chaises devant les bureaux de leurs enfants.
Dans une vie antérieure, j’ai été enseignante dans un collège, c’était dans le milieu des années 70 et mon premier poste. Propulsée sans aucune formation dans des classes de quatrième et troisième, la maîtresse auxiliaire que j’étais, ne la menait pas large et faisait son possible pour s’intégrer. Un soir, il avait été question de rencontres avec les parents, je n’étais pas le moins du monde au courant de la façon dont tout cela allait se dérouler ni de ce que j’allais devoir faire. Personne ne m’en avait parlé et malgré mes questions, je n’avais eu comme réponse que « Tu prends ton carnet de notes et ça suffira bien ! » On m’avait dit telle heure, telle salle et je m’y étais rendue sans plus de préparation dans ma tête que le souci de ne pas faire d’erreur en mélangeant les élèves, je n’ai jamais été physionomiste.
Quelle n’a pas été ma surprise de voir que les parents d’élèves n’attendaient pas sagement l’arrivée des profs dans le couloir, mais qu’ils étaient tous déjà assis aux places de leurs enfants ! Bêtement je croyais que l’ensemble des enseignants de 4e serait là, or l’organisation prévoyait un roulement, j’ai donc été accueillie par le prof précédent qui m’a présentée en deux mots et s’est éclipsé comme si une alarme incendie venait de se déclencher ! Me voilà seule face à des dizaines de regards curieux, certains étonnés, d’autres narquois et il m’a été impossible de sortir une seule phrase tellement j’étais sidérée. À la place de Jean-Luc sur ma droite, il y avait un Jean-Luc plus âgé, une sorte de copie conforme simplement plus vieux de vingt ans. J’ai le souvenir d’être restée plusieurs minutes à dévisager cet homme, en réalité cela a dû passer comme un éclair, mais il y a encore comme un trou dans mon cerveau. À la place de Thierry, même phénomène, soudain Thierry avait des rides et une calvitie, mais c’était bien le même regard et la même bouche ! Et ainsi de suite, même les mères présentes ressemblaient tellement à leurs fils que j’ai failli me frotter les yeux en me demandant si moi aussi d’un seul coup, j’avais vieilli de vingt-cinq ans.
Je n’ai aucun souvenir de ce que j’ai bien pu improviser, je ne savais pas du tout comment résumer la vie de la classe en quelques mots, j’étais obnubilée par cette vision. Je crois avoir reçu les parents un par un ensuite et avoir repris mes esprits, mais je garde un souvenir étrange de cette réunion hors du temps.
Qui sait si l’institutrice de la petite Daphné n’a pas, elle aussi, été interloquée par les ressemblances entre les mamans et leurs filles ?
N’y a-t-il pas eu un blanc de quelques secondes ?
Un regard vide ou songeur ?
Ne cherchez pas, c’est le tremblement du temps !
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Illustration : « tremblement de l’espace » photo prise aux Jardins de L’Ange à Verdalle (81) le 8 octobre dernier.