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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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20 juin 2022

Les belles histoires

Francine Lechevretel

 logo_nos_ecolesÀ l’école communale, chaque fin d’après-midi, notre institutrice nous faisait la lecture à haute voix. C’était pour moi un intermède délicieux entre la journée de classe et l’étude du soir. J’étais suspendue à ses lèvres, tant ces récits me passionnaient. Elle alternait la lecture de romans in extenso – choisis dans ce qu’on n’appelait pas encore la littérature de jeunesse – avec celle de morceaux choisis puisés dans la littérature française. Pour toutes, ce moment était celui de la détente et nous riions des pitreries de Pathelin, des outrances de Gargantua ou de la stupidité des guerres picrocholines. Quant à Renart, le goupil, il en faisait de belles ! Au passage, l’institutrice nous expliquait certains termes de vocabulaire et répondait à nos questions.

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 Les lectures portant sur la mythologie grecque m’impressionnaient au plus haut point. Avec l’épisode de Thésée et du Minotaure, mon émotion était à son comble. Le sort des jeunes Athéniens, destinés à être dévorés par le Minotaure, me révoltait. Heureusement, Ariane avait l’idée de génie du peloton de soie qui allait permettre au fils d’Égée de déjouer les pièges du Labyrinthe et de revenir vers elle. Pendant le combat, la jeune fille manifeste son soutien au héros par de légers mouvements imprimés au fil qui les relie. Une fois le monstre tué et Thésée sorti du labyrinthe grâce au fil d’Ariane, je me sentais délivrée moi aussi, car les jeunes gens repartaient pour la Grèce, joyeux et insouciants.

J’ai gardé en mémoire, bien nette, l’image des adieux d’Hector à Andromaque. Effrayé par le casque guerrier de son père, le fils du héros se réfugie dans le sein de sa nourrice à la belle ceinture. Je les voyais vraiment, ces deux femmes, souples et blanches dans leurs vêtements drapés. Sur le rempart de Troie, leurs silhouettes délicates et tendues dans leur geste d’adieu me parlaient davantage que le combat d’Hector contre Achille.

J’aimais l’Odyssée plus que tout autre récit et j’étais éblouie par Nausicaa, si lointaine et pourtant si proche. Sur fond de mer violette, sa mère lui remet des provisions et une fiole d’or remplie d’huile parfumée. Puis la jeune fille saisit les rênes de la charrette qu’elle conduit elle-même et se dirige vers le fleuve, suivie de ses compagnes bouclées. Nausicaa se baigne comme j’aime le faire, pique-nique sur le rivage, chante, joue à la balle et elle a le privilège de s’enduire le corps d’huile parfumée — en ai-je rêvé de ce flacon et de son contenu capiteux ! Rien à voir avec l’ambre solaire de nos estivants que ma mère, à moi, refusait d’acheter. Ce qui me déconcertait dans le récit d’Homère, c’était la description de la lessive dont s’acquittait le groupe de jeunes femmes. Selon lui, ce travail n’était rien de plus qu’un jeu ! Moi qui voyais ma mère s’échiner deux jours par semaine sur le linge sale de la maisonnée… Peut-être que dans l’Antiquité, sous le soleilgrec et avec l’aide des dieux qui s’occupaient de tout, ce n’était pas la même corvée ?

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Je me sentais toute fière parce que, dans cet épisode de l’Odyssée, ce n’est pas un héros masculin qui domine l’action, mais une jeune fille, intelligente et courageuse. Elle aura les mots justes pour s’adresser au naufragé pantelant et saura prendre les bonnesdécisions. Sans son intervention, jamais Ulysse ne serait rentré à Ithaque ! C’était bien la preuve que les filles n’étaient pas aussi faibles, peureuses et écervelées que certains voulaient nous le faire croire. Un peu de baume au cœur pour moi qui, sans savoir bien me le formuler, cherchais comment être, comment se comporter quand on était une fille.

Puis venaient le grand Victor Hugo et ses Misérables qui nous touchaient toutes vivement. Ses personnages nous étaient si familiers qu’ils faisaient partie de notre quotidien. Nous parlions d’eux comme s’ils étaient vivants et nous les intégrions dans certains de nos jeux. Nous jouions aux Thénardier, deux d’entre nous inventant contre Cosette les méchancetés les plus noires, en particulier quand elle rentrait avec son seau trop lourd. Enfin, Jean Valjean intervenait, sauvait la petite fille et punissait les méchants… Cela ne nous posait pas de problème de broder à partir du texte entendu. J’aimais la figure tutélaire du galérien injustement condamné parce que pauvre, puis devenu juste et bon une fois enrichi. Je m’alarmais pour Fantine, la fille-mère de l’histoire, pour Cosette, séparée d’elle et maltraitée. Quand la maîtresse passait à Notre-Dame de Paris, je tremblais pour Esméralda que j’imaginais aussi frêle que sa petite chèvre aux cornes dorées. Je voyais sa robe bariolée danser au rythme de son tambourin.

J’avais mes textes préférés dont je réclamais la relecture chaque année, en particulier le combat de Gilliatt contre la pieuvre terrifiante dans Les Travailleurs de la mer.  Même si je connaissais l’épisode, je me demandais à chaque lecture si le garçon allait bien échapper aux tentacules du monstre ! Je n’avais jamais assez entendu le poème Les pauvres Gens et,dès le premier vers – « Il est nuit, la cabane est pauvre, mais bien close » – ma poitrine se serrait.

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Et que dire des aventures de Rémi, l’orphelin de Sans Famille1 dont les aventures me transportaient ? Dans un Massif central ingrat et pauvre, il est ravi à l’affection de sa mère adoptive et jeté sur les routes avec le saltimbanque Vitalis escorté de ses animaux savants. La petite troupe connaissait la faim, la maladie et l’angoisse de l’abri introuvable, même dans les pires tempêtes. C’était tellement injuste ! Vitalis me devint sympathique lorsqu’il entreprit de façonner, avec son couteau, les lettres de bois qui allaient lui permettre d’apprendre à lire à Rémi — ne pas savoir lire, y avait-il quelque chose de pire ?  L’épisode de la mine m’impressionna durablement. Rémi, à douze ans, doit gagner sa vie et il descend au fond de la mine pour extraire le charbon. À ce propos, l’institutrice précisait :

« Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire travailler Rémi comme dans le roman, l’école est devenue obligatoire. La mine est un endroit très dangereux : il y a des coups de grisou, des explosions et les galeries peuvent s’écrouler quand on ne laisse pas le temps aux mineurs de les renforcer.

– Mais il ne va pas y avoir de coup de grisou ? demandais-je pour me rassurer.

– Écoute la suite. »

C’était une autre catastrophe qui se produisait, une terrible inondation s’engouffrait dans la mine. Rémi allait mourir, j’en étais sûre !

Puis il y eut l’épisode palpitant de l’Atlantide2 où je m’identifiai très fort à Tanit-Zerga, la jeune servante d’Antinéa. Elle est déterminée à braver tous les dangers pour retrouver sa liberté et les acacias bleus de son pays, au bord du fleuve Niger. Volontaire, aussi intelligente qu’agile, la jeune fille organise son évasion et celle du héros blessé, hors du palais de la cruelle Antinéa. Par un système ingénieux, elle réussit à descendre son comparse mal en point le long de la falaise abrupte du nid d’aigle d’Antinéa. J’admirais sa force de caractère et son audace. Seuls les sables brûlants du Sahara auront raison de son énergie et de sa vie. Sa mort m’attrista, après tant d’épreuves surmontées, elle aussi méritait de vivre libre !

Les réponses à mes interrogations de fille me paraissaient toujours insuffisantes. Un jour, pourtant, une lecture me présenta une image féminine plus gratifiante. Pendant la dernière guerre, Madeleine, une jeune fille de quatorze ans, se voit confier une mission par des membres de la Résistance : grimper, de nuit, au pilier de bois qui soutient les fils télégraphiques utilisés par les Allemands puis les sectionner à l’aide d’une pince coupante. « Transmettre des renseignements était très important pendant la guerre, disait l’institutrice, selon les informations transmises ou non à la Résistance, une bataille pouvait être gagnée ou perdue ». En dosant bien son effort, Madeleine grimpe le long du poteau trop lisse et haut de plusieurs mètres. Je retenais mon souffle pendant son ascension à mains nues. Elle arrivait enfin au niveau des isolateurs en porcelaine blanche, puis, tout à coup, d’un geste vif, elle tranchait le câble et je respirais. Grâce à cet exploit, les Résistants réussissaient à saboter le matériel allemand et les mettaient en sérieuse difficulté.

Voilà ! C’était cette fille-là que je voulais être !

Ces lectures étaient destinées à former le socle de notre culture et je les ai reçues avec bonheur. Elles m’ont nourrie, ces belles histoires, elles sont l’héritage précieux qui m’a laissé le goût de la lecture et de la littérature.

Internet

1 De Hector Malo

2 De Pierre Benoît

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