Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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Si vous lisez ces billets, que vous soyez contributeur ou simple lecteur, c’est que vous connaissez peu ou prou l’APA. Depuis plusieurs semaines, une collecte thématique recueille vos souvenirs, vos émotions, les moments passés à contribuer à la vie de nos mémoires individuelles et collectives.
Cette collecte se poursuivra jusqu’à la fin des vacances d’été. N’hésitez pas à vous saisir de vos plumes et de vos claviers pour raconter à tous ce que sont vos expériences et les ajouter à celles que vous pouvez déjà lire dans ces pages.
Aujourd’hui, dimanche 13 juillet 2025, il fait chaud, il fait chaud, trop chaud pour sortir cet après-midi, plus de 30°. « C’est beaucoup », me dis-je affalée dans un fauteuil. Dois-je avoir honte de cet accès de paresse ? « Non », décidais-je finalement, « je suis une mamie qui prend soin d’elle-même ».
Requinquée par cette réflexion pleine de bon sens, j’attrape la télécommande, pour trouver un fond sonore à la télé. Il me permettra de mieux apprécier la lecture du livre ouvert sur mes genoux, tout à fait de circonstance, Vivre de Boualem Samsal.
D’un doigt paresseux, je zappe, décidée à faire la connaissance des chaînes de la TNT, dont j’ai seulement entendu parler.
De la parlotte, toujours de la parlotte et… et… stop ne plus bouger l’index fouineur. Qu’entends-je ? Un air d’accordéon. Mes oreilles se dressent, mes yeux s’ouvrent et ne quittent plus l’écran. Mais oui, il n’y a donc pas que des paroles, du slam ou de la techno ? Ébahie, j’admire. Plusieurs accordéonistes se succèdent, chacun.e a son accordéon qu’il/elle a dû faire faire à son goût, les dessins, les couleurs sont différents, ça va du noir au jaune pétant en passant par le vert ou le rouge. Ce que j’admire le plus, c’est leur dextérité. Comment arrivent-ils/elles à taper sur des touches genre petits boutons, sans regarder et en sortant des mélodies sans fausses notes ? Les pianistes, eux au moins, regardent leurs mains. Je suis pleine d’admiration et ravie des mélodies dansantes que j’entends. Des couples s’agitent sur une scène spécialement préparée. Âge moyen, et non pas « moyen âge », disons de la trentaine à 80 ans, et peut être plus, superbement habillés, les femmes ont toutes des chaussures à talon, les cavaliers les enlacent, les font virevolter. C’est réjouissant et beau, valse, java, fox-trot, polka, etc. Parfois ils se mettent en ligne et se meuvent en rythme en tapant des mains. Ils ont certainement suivi les mêmes cours de danse.
Pourquoi ai-je éprouvé l’envie de raconter ce moment de bonheur ? Certainement parce qu’il m’a permis d’oublier le monde très dur dans lequel nous vivons, les guerres, les massacres, un gouvernement antisocial, une rentrée qui s’annonce problématique. Pendant un moment j’ai retrouvé ma jeunesse, lorsque nous courrions les bals avec des ami.es, même si l’ambiance d’alors était plutôt rock.
Si seulement chacun.e pouvait trouver sa Madeleine. Pendant un moment, j’ai trouvé la mienne.
Je devrais noter dans mon journal toutes les phrases « stupides », de blagues potaches, que je vois circuler sur Facebook et qui me font rire. Presque tous les jours, j’en glisse de côté pour les faire lire (ou regarder) ensuite à Patrick. Par exemple : « Ma fille ne mange plus de viande après une vidéo sur les poulets… Si quelqu’un a celle sur les iPhone et les baskets hors de prix, je suis prêt à payer. » Ou bien. « Un jour ton Prince viendra… Mais sache qu’avant toi, il s’est tapé : Blanche-Neige, la Belle au Bois Dormant, Cendrillon et peut-être même… Les 7 Nains. » Juste avant l’intervention pour la cataracte de Patrick, aux deux yeux, j’ai trouvé — sans chercher ! : « Du calme, Charles, c’est juste une petite opération, ne panique pas. » « Mais Dr, je ne m’appelle pas Charles. » « Je sais, c’est moi, Charles. » Une autre fois, c’est un dessin type bande-dessinée, avec une enseignante, un père et sa fille « Bon, eh bien… on a refait les tests : Candice n’est toujours pas HPI. Comme la semaine dernière, c’est juste une petite fille de six ans, plutôt vive. » Et, sous le dessin, « Antoine était à bout : cinq pédopsychiatres consultés, pas un de compétent. »
Ce peut être plus philosophique (je plaisante) : « Je dépense donc je suis… Descartes de crédit… Je saute donc je suis… Descartes à puce… Nous sommes tous timbrés… Descartes postales… » Des reprises fréquentes de Tintin, en changeant le texte dans la bulle, m’amusent fréquemment, comme les Dupont Dupond portant Tintin sur un brancard : « On l’amène à l’hôpital ? » « Non, on va sur FB, il y a plein d’experts qui vont nous dire ce qu’il a… » J’adore ! Surtout l’autodérision. Un dessin type Shaddock qui montre un couple, cinq petits, et ce commentaire « Ils ne furent pas heureux et eurent beaucoup d’enfants », c’est caustique, mais en général, je l’avoue, je souris. Pour Patrick qui soupirait qu’il va encore falloir s’occuper d’un arbre tombé, à faire débiter, et d’un autre à enlever avant qu’il suive malencontreusement le même chemin (désolée, Elizabeth, certains feuillus et sapins sont coquins !), j’ai trouvé une photographie d’une tombe ancienne, en pierre, sur laquelle il est écrit : « Enfin propriétaire ! » Bref, ce florilège à la Prévert est, je vous l’accorde, assez nul, mais souvent cet humour que j’appelais autrefois « blagues Carambar » me détend, me fait sourire. Voire rire… C’est hétéroclite, varié, inventif. L’actualité est souvent tournée en dérision. Loin d’être drôle, comme cette reprise des photographies de l’entrée des camps. Mais au lieu du texte qui affirme que le travail « macht frei », là, c’est « Make america great again ». Voilà qui fait réfléchir. Pour certaines trouvailles, dans l’esprit Charlie, je n’oserais pas ! Je m’informe, enfin, avec ces petits encarts. J’apprends par exemple, pure logique, que « mettre de côté 8 euros par jour = 3000 euros par an, lire 20 pages par jour, ce sont 30 livres par an qui sont découverts, marcher 10 000 pas par jour, ce sont 70 marathons par an : « Ne sous-estimez jamais le pouvoir des petites habitudes ». Eh oui, je suis finalement une grande sportive !
La raison pour laquelle je montre à Patrick telle ou telle image est parfois très personnelle (encore plus, disons). Ainsi de la suivante. On voit une cassette comme je les ai connues enfant, pour écouter de la musique, toute la bande magnétique dehors, emmêlée : « I know it’s tragic the wifi isn’t working, but let me tell you a story of catastrophic proportions from my childhood… » Je souris de ce « Je sais bien que c’est tragique pour toi que la Wifi ne fonctionne pas… Mais franchement, laisse-moi te raconter les horreurs que j’ai moi-même vécues dans mon enfance, et tu peux me croire, c’était vraiment bien plus catastrophique ! (Traduction libre de ma part, bien sûr…)
Je repense alors à la cassette audio, qui contenait la voix de papa (et de madame Irène, d’ailleurs, aussi). Mes larmes, le jour où je l’ai entendue. J’étais adulte. Il est mort quand j’avais neuf ans. Ce choc ! Je n’ai pas reconnu la voix de mon papa. Patrick n’arrivait pas à me consoler. Nouveau deuil. Maman, elle aussi très émue, m’a prise dans ses bras : « Il était déjà malade, avec les rayons, sa gorge douloureuse… elle était déformée. » Et puis, surtout, notre petit magnétophone Radiola à cassette, avec ses boutons noirs et la touche rouge pour enregistrer, offrait le son pourri, déformé, nasillant, de son époque. N’empêche ! Je me demande si le moment où le fil s’est emmêlé, juste après, et où le son a disparu, pour toujours, à la seconde écoute, n’a pas constitué en réalité comme un paradoxal soulagement, en moi ? Tout, plutôt que cet inconnu aux intonations dont je ne savais rien.
Tiens… voilà un article que je pourrais envoyer sur le blog Grains de Sel ou alors… sur le site émouvant de l’objet de famille, d’Ella Balaert, au choix.
1972 — J’ai seize ans et toutes mes dents. Pas assez aiguisées cependant pour obliger mes parents à m’offrir des études. Ce n’est pas le moment ; ils viennent de se sortir d’une ornière. De trouver un filon. Ils sont devenus artisans et ils ont bien besoin d’une apprentie. Ils m’ont rapidement convaincue que je n’étais pas faite pour les longues stations assises sur les bancs d’école et que gagner ma vie en l’occupant était bien meilleur pour ma santé. Accessoirement la leur. En fait, je n’ai pas eu tellement le choix dans l’histoire, mais c’était suffisamment bien emballé pour que j’avale sans trop moufeter. Me voilà donc apprentie en décoration de vannerie. C’est un travail qui a ses avantages. Je suis dans le tissu à longueur de journée. Dans les dentelles et dans le calicot. Je couds d’interminables longueurs de croquet sur d’interminables bandes de tissus et je varie parfois en cousant la même bordure en rond pour les couvercles des paniers. Le tissu que nous utilisons sert aussi pour mes robes, voire mes pantalons. Ainsi, je ne dépare pas dans l’atelier.
Tous les jeudis je vais à l’école. C’est un collège que l’on met à disposition des apprenties quand les autres élèves n’ont pas cours. Nous avons des professeurs un peu hors du commun. Notre professeur d’éducation générale est un rebouteux enthousiaste, et un jour j’irai me faire soigner chez lui, pour voir. Juste une fois. Quant à notre professeur de théorie de la couture, comme le Facteur Cheval, elle peint de ravissants tableaux naïfs. Les jours de cours sont mes moments préférés. Je prends le bus jusqu’à la gare routière. Je dois traverser toute la ville à pied pour monter dans les hauteurs où se trouve mon école. Comme le jeudi est aussi jour de marché, je fais le détour par la vieille ville.
Il y a les deux marchés, ouvert et couvert. Je flâne au milieu des stands et sous le préau. Légumes, poissons, viandes, mais surtout les pains. À peine sortis du four, avec leur odeur diabolique. Il est si tôt que les marchands ne sont pas tous installés. Ils vident les voitures, ou les camionnettes, ils se crient des plaisanteries à tue-tête, se donnent des rendez-vous pour la pause de midi chez Germaine et préviennent d’un coup de sifflet le petit vendeur à la sauvette quand le gendarme arrive au coin de la rue. Moi, je teste mon pouvoir de séduction sur tous les mâles des environs et je récolte regards et sifflets admiratifs sur mon passage. Je m’offre quelques belles fraises toutes fraîches que je lave à la borne-incendie et grignote en chemin. J’ai déjà le reste de mon pique-nique dans mon sac, avec un bon bouquin. Je me réjouis d’avance de l’heure du déjeuner, quand je m’installerai dans la cour déserte avec mon livre et mon sandwich. Tant pis si mes collègues me prennent pour une bêcheuse coincée. D’ailleurs, c’est archifaux. La preuve ? Tous les vendredis soir, j’ai la permission d’une heure du matin. Je vais à la Maison des Jeunes et de la Culture de Cagnes-sur-Mer et là… mazette ! Je m’en donne à cœur joie sur Just a gigolo. J’ai un partenaire pour les rocks endiablés, un autre pour les slows romantiques et un troisième avec lequel je pars hanter les ruelles pendant les pauses. Une nuit, ce dernier m’a soulevé dans ses bras, puis il m’a dit : « Le jour où je me marierai, je ferai comme ça avec ma femme » et il a descendu, en me portant, les cent marches depuis la mairie. Quand je dis que mon cœur hésite entre les trois…
Le samedi, à Antibes toujours, je vais à la bibliothèque. Je passe par les remparts du vieux fort. J’ai gardé quelques piécettes pour m’offrir un gâteau à la boulangerie de la place. Puisque je travaille, je peux m’offrir ce que je veux. En principe. Hélas, le moment venu, aucun gâteau n’est assez beau pour que j’y investisse le fruit de mon dur labeur.
J’ai dix-sept ans. Certains dimanches, mes parents exigent que je les accompagne dans leur promenade. Heureusement, ce n’est pas trop fréquent. Je marche dix pas devant, engoncée dans ma belle robe taillée dans un tissu maison, bien amidonné. Je suis gauche et terriblement timide, j’ai les pieds en dedans, les épaules rentrées, le visage renfrogné, de grosses lunettes, tout le contraire de celle que je présente le vendredi soir. Je déteste ces dimanches-là.
J’ai dix-huit ans et je suis amoureuse. Le soleil d’Antibes caresse mon dos et ma poitrine naissante. Je me promène main dans la main, avec LUI. Nous nous embrassons sous tous les porches de la vieille ville, avec les glycines comme seules témoins. Ma Vie commence. Enfin.
Les siestes sont réparatrices, mais également pleines de surprises.
Choisir un bon fauteuil creux, choisir un programme à la télévision suffisamment prenant, mais pas trop pour s’endormir doucement. Mes appareils auditifs reçoivent à présent le son directement, sans casque ajouté, un boîtier que je me suis offert. Un luxe bienvenu !
Là, Arte m’offre La légende du pianiste sur l’océan de Giuseppe Tornatore et je découvre aussitôt qu’évidemment je ne dormirai pas cette fois et que ce film a été tourné autour d’un des meilleurs livres que j’aie lus, celui d’Alessandro Barrico Novecento : pianiste. Je l’ai vu au théâtre interprété par André Dussolier, un cadeau.
Je n’ai pas dormi, j’ai pleuré comme j’avais pleuré au théâtre et chaque fois que j’ai lu ce livre.
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Autre culture :
Je n’arpente pas souvent les méandres d’internet, pas que je sois totalement ignare en la matière ni que ça me rebute, mais je n’y songe pas forcément. J’aime cependant quand ça vient à moi et je m’étonne chaque fois de tout ce monde caché, si varié, dont je ne connais presque rien.
Un ancien collègue me fait découvrir Eurekoi, centre de recherches, une mine avec un humain bibliothécaires au bout de votre messagerie qui répond. Ô joie !
Puis, un jour de chaleur intense, vous vous souvenez ? Il a fait chaud ! Je découvre, car j’aime bien ça, de multiples sites sur les QUIZZ.
Je passe quelques heures à m’éclairer, à réfléchir, à pester, à me réjouir. Je m’amuse quoi !
Quelques jours plus tard, ayant oublié le jeu de société pour jouer avec ma maman à l’EHPAD, tentant de stimuler un peu sa mémoire qui s’échappe, je lui propose de faire un QUIZZ.
Ravie, elle s’enflamme vite, reconnaît les feuilles d’arbres, nomme les os du corps humain ou termine les expressions françaises connues.
Ne jamais tout jeter quand un domaine s’offre à nous, c’est sûrement cela rester en éveil.
Lorsque le prénom Mona apparaît sur l’écran de mon tel ce matin-là, je suis ravie. Depuis quelques jours, avec excitation, Salima attend l’arrivée de sa fille et de ses jeunes enfants résidant aux USA. Il ne se passe pas de jours sans que ne soient évoqués les projets d’activités, cuisine en famille pour transmettre plats et saveurs de son Algérie natale, lecture de contes dénichés dans les vide-greniers, albums de photos reconstituant la généalogie familiale franco-algérienne. Avec entrain Salima s’active, gommant la fatigue due à une grave insuffisance respiratoire et à un sournois cancer… Chaque jour je partage l’enthousiasme de celle qui m’appelle « sœur de cœur », WhatsApp permettant de faire fi des 1000 kms qui nous séparent depuis mon installation dans le sud de la France
Salima et moi sommes nées la même année de part et d’autre de la Méditerranée. Le hasard a voulu que mon frère, jeune appelé en Algérie, soit envoyé dans la ville où le père de mon amie, militant actif du FLN est aux prises de l’armée française. Dans le même temps à vingt-deux ans, mon frère succombe au cours d’une embuscade perpétrée par les partisans de l’indépendance algérienne.
Je connais Salima depuis une cinquantaine d’années. D’emblée nous avons évoqué le passé douloureux de la guerre d’Algérie et son lot de malheurs de part et d’autre de la mer. Durant la même période, nos familles respectives ont vécu en concomitance les effets dévastateurs de cette période de l’histoire. Loin de nous éloigner, ces souvenirs nous rapprochent, nous soudent et devenons très proches, d’autant plus que nous partageons les mêmes aspirations sociales. Très engagée dans le quartier populaire où elle réside, elle devient rapidement élue municipale conseillère de son quartier. Titulaire d’une thèse sur l’illettrisme, Salima est rapidement reconnue et sollicitée pour la création de dispositifs pédagogiques, mais aussi de projets d’éducation populaire auxquels elle m’associe. Son empathie naturelle envers des habitants de toutes origines confondues en fait une figure incontournable de son quartier et au-delà. Son énergie ne se limitant pas exclusivement à l’éducation, elle encourage et soutient les jeunes créateurs en organisant concerts et expositions fréquentées par un large public. Les créations artistiques présentées aux fenêtres des résidents font école au-delà du quartier. En parallèle, elle initie « La tente des glaneurs » en partenariat avec les commerçants du marché. La ligne directrice de son investissement est invariablement de fédérer les habitants de ce quartier populaire en les rendant acteurs de leur devenir. Je peux témoigner de parcours édifiants de femmes, de jeunes qui ont reproduit dans le sillage de Salima des initiatives initiatiques du même ordre rendant soluble le déterminisme social…
Lorsque sa santé se dégrade, Salima quitte une maison trop grande pour un appartement dans un quartier bourgeois de la ville. Je crains alors pour elle l’isolement, mais, très vite, en lui rendant visite après son installation, je constate avec soulagement qu’un cercle amical se constitue naturellement autour d’elle. Du jeune voisin étudiant à qui elle offre bols de soupe en échange de parts de pizzas, à la dame du dessous qui s’enquiert chaque jour de ses besoins en courses, aux voisins d’autres étages qu’elle invite à partager couscous, chorba ou pâtisseries reçues d’Algérie, pays qu’ils découvrent par elle gommant des idées toutes faites !
Avec le temps ma famille est devenue la sienne et, réciproquement, bonheurs et soucis trouvent toujours un écho chez l’une ou l’autre sœur de cœur. Aussi, lorsque le lendemain de son arrivée, Mona m’annonce en pleurs le décès de sa maman survenu dans la nuit, je suis totalement anéantie… Durant les jours qui suivent, il m’est absolument impossible d’écrire deux phrases cohérentes. Il ne se passe pas de jours sans que je ne me surprenne à tenter de lui envoyer textos ou images… À présent après le chagrin est venue la tristesse. Je continue de m’adresser à celle qui a été longtemps mon double. Je sais pour avoir vécu d’autres deuils qu’avec le temps, le vide sera peu à peu moins douloureux. Je visiterai les souvenirs avec une lucide sérénité et continuerai d’avancer avec mes proches, fidèle à ce qui nous unissait.
Comme a dit le poète : « Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout où je suis ! » C’est tout à fait ce que je ressens…
C’est toujours un vrai bonheur de découvrir presque chaque jour sur le blog Grains de sel les billets des adhérentes et adhérents de l’APA. Aussi divers qu’ils soient dans la forme et les contenus, ces textes me touchent. Il m’arrive souvent de penser à leurs auteurs, à leurs parcours de vie. Ils meublent mon imaginaire avec discrétion, sans l’encombrer de convenances importunes inhérentes à certaines relations plus formelles.
La collecte de textes sur « l’APA et moi » m’a incitée à écrire le texte joint produit dans un moment particulièrement difficile.
Je te l’adresse donc en toute confiance, sachant que ton blog Grains de sel est fréquenté par des gens de bonne compagnie, familiers d’écrits autobiographiques, lecteurs bienveillants.
J’ai participé à certaines rencontres nationales de l’APA et en suis toujours revenue enchantée à la fois par les interventions des personnalités invitées, mais aussi par la chaleur des rencontres avec les adhérents.
Je ne remercierai jamais assez toutes les personnes qui m’ont encouragée à écrire les deux recueils déposés à l’APA, Lettres à mon frère, appelé en Algérie et De l’ombre me sont venues des lumières évoquant mes échanges épistolaires avec des personnes détenues.
Enfin la lecture de La faute à Rousseau est à chaque fois source d’enrichissements. Sans flagornerie, j’adresse un vibrant merci aux responsables de la publication pour la qualité et la régularité de cette revue que je partage avec mon entourage. Un remerciement tout particulier à Pierre Kobel pour l’animation du blog !
Vacances et argent, loisirs et factures, amies/famille/connaissances, de nombreux exemples divers d’un été qui s’installe. Partir sans tordre le cou au budget général, question redondante, importante, primordiale souvent.
Idem pour se distraire, se cultiver.
Ah que d’expositions ! Mais, Paris, Paris, Paris… Il n’y a pas que le billet d’entrée qui importe, il y a le train et tout ce qui suit. Souvent bien impossible à envisager financièrement comme quelqu’un d’autre se lamenterait de ne pas aller aux îles Marquises cette année en plein mois d’août !
J’entrevois un article qui parle justement de l’engouement pour les expositions autour des créateurs, de la mode, mais cette fois en dehors de la capitale.
Aussitôt je sors mon clavier, car, dans leur liste un gros oubli, l’exposition éphémère à Châtillon sur Seine « Marc Bohan : les années Dior ». Il a été le directeur artistique de la maison Dior, de nombreux modèles sont exposés et un hommage dans la ville où il a fini sa vie.
On me répond rapidement : rapprochez-vous de votre édition régionale !
Rire grinçant ! Oui on ouvre ce panel d’informations sur les régions, mais restons corrects, n’allons pas trop tout de même dans la campagne profonde, même s’il y a à voir. Agacée ? C’est un mot bien léger. Il y a des frontières culturelles qui me révoltent. Éduquer les plus jeunes, amener les adultes à fréquenter les musées ? Il faut déjà commencer par leur dire que s’ils n’ont pas l’argent pour monter à Paris, chez eux, ils se passent des choses intéressantes et que, si les Parisiens ou autres citadins des grandes métropoles ne viennent pas, c’est seulement qu’ils ne connaissent pas. Occasion d’ailleurs de découvrir dans cette petite bourgade, j’insiste, un trésor : le vase de Vix, mais ça, c’est une autre histoire.
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À l’ombre, samedi dernier, nous terminons notre cycle 2024-2025 d’ateliers d’écriture. Quel régal !
Les mots fusent plus que d’habitude, avec une autre liberté offerte sur nos vies personnelles, le repas partagé de circonstance y est pour beaucoup.
Donner à L. l’occasion de revenir la saison prochaine même si, un temps, il a cru qu’il n’était pas « du niveau ». C’est sans compter sur mon regard sur ces séances : se faire plaisir, se nourrir de mots, les siens et ceux des autres et justement ne pas comparer, ne pas se sous-estimer. C’est si rare ces lieux.
Et ne t’inquiète pas, Pierre, la poésie à sa part belle dans les extraits lus et dans les petites perles partagées.
Bien entendu, pour les faire connaître encore et encore, les éditions « Blancs volants » ayant pignon sur ma rue, elles seront même à Sète cette année.
Il y a quelques années, déjà, j’avais écrit deux textes, je crois, sur ces scènes qui parsèment ma vie, ces moments curieux ou forts, ces heures repérées ou retenues pour un temps dans une sorte de liste, car elles m’interrogent ou me gâtent.
Le billet pourrait être infini tant j’accorde de l’importance à ces contemplations ou découvertes du quotidien.
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Un jeune homme très grand, très beau, ça n’ajoute rien au récit, mais à mon plaisir des yeux, enregistre ses courses à une caisse automatique tout près de moi. Il semble bien plus à l’aise que je ne le suis, car je suis là par défaut, j’ai ces caisses en horreur.
Nous finissons en même temps de payer et, alors qu’on me laisse aller tranquillement, la surveillante des caisses demande à mon voisin d’ouvrir son sac ! Je suis choquée et le dis au jeune homme. « J’ai l’habitude », me sourit-il.
Moi, je lui dis que NON, surtout pas, il ne doit pas s’habituer.
Ah j’ai oublié ! Il a la peau noire, de jais, ceci explique sans doute hélas cela.
Je sors du magasin avec ma honte.
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Mon fils et une amie ont gagné deux billets pour le festival des Eurockéennes à Belfort. Ils me demandent de les y conduire, m’offrant en retour mon entrée.
Après avoir dit oui sans hésiter, je découvre à quoi m’attendre sur internet et je vois le monde, la distance et le temps pour le trajet. Trop tard pour renoncer. Sur place il me manque certains codes, évidemment.
Un bracelet qui a le pouvoir d’enregistrer de l’argent et vous permet de payer ensuite par contact, des bars à bières en libre-service (payants cependant avec ledit bracelet), une foule qui regarde les écrans géants alors que les musiciens sont parfois à seulement quelques mètres devant eux. Mes rides se creusent, mais j’élargis mon horizon musical avec quelques bonnes surprises que je n’aurais pu découvrir autrement.
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Ce n’est pas une scène de vie ordinaire ni banale, mais elle a son scénario et je la savoure encore, celle-ci.
Il y a quelques semaines, mon fils aîné me dépose sur les genoux un paquet et me dit « Bonne fête, maman », son frère sourit, sa compagne sourit et moi je ris, car ce n’est pas dans ses habitudes de me faire un cadeau à cette occasion.
J’ouvre lentement le cadeau comme tous ceux qui me sont offerts et je découvre une minuscule chaussure ! Aussitôt, je comprends. Ils vont avoir un bébé, je vais être grand-mère, pour la première fois. On pleure d’émotion, on rit, je frissonne et c’est fou, fou.
Quelle belle aventure !
Mes amies me demandent déjà le sexe du bébé, me parlent de tricots, de garde à venir, etc.
Oh ! Oh ! Ça va trop vite !
Je savoure et vais savourer les quatre mois qui nous séparent et je vais laisser ces jeunes parents me faire la place qu’ils souhaiteront me faire, même si j’imagine déjà le poids de ce bout d’choux s’abandonner sur moi si par bonheur il s’endort un jour là.
Je ne me sens pas très bien ce matin. Sans doute est-ce dû à ce week-end un peu particulier que nous avons passé. Un périple inhabituel dans les méandres de la psychanalyse de salon. Une étude de cas concrets sur la personne de nos enfants. Comment les aider ? Les diriger à l’aube d’une vie pleine de promesses ? Les guider dans ce monde de plus en plus sauvage ? En plus de notre amour, plus fort que jamais, j’aurais tant voulu les munir d’un talisman protecteur, leur prescrire une potion magique.
Parfois, il m’arrive de cauchemarder, d’imaginer ma fille devenir délinquante, mon fils sombrer dans la folie des grandeurs. Toutes choses qu’une mère aimante peut ressasser dans la solitude mélancolique d’un lundi matin, quand l’été tarde à venir.
« Bernique ! me dit mon cher et tendre, foutaises et billevesées. Quand d’aventure il me surprend, défaite, dans le secret de ma cuisine, en train de tracer sur la table des arabesques avec mes larmes, volutes prenant la forme du huit de l’infini. Bernique, répète-t-il très sérieusement. Tu sais très bien que tu ne peux rien offrir de mieux à nos enfants que l’image de notre bonheur, la douceur de tes bras quand ils viennent s’y réfugier, ta gaieté communicatrice et stimulante. Nous leur avons montré l’exemple d’une union solide, dans le respect des sacrements que nous avons choisis. Nous leur avons donné tout ce que nous avions, dit tout ce que nous savions de la vie et toujours en toute sincérité, je suis sûr pour ma part que le message est passé.
— Oui, je sais tout cela, je sais, lui dis-je en réponse à ses propos que je trouve néanmoins un brin insuffisants pour calmer mes remises en question. Moi aussi j’ai l’impression d’avoir fait mon possible, tous mes possibles. Cette vie à la montagne, pour commencer, leur aura épargné bien des tentations de la ville, élans de convoitise devant des devantures trop richement garnies. Ils s’éviteront une cascade d’ennuis financiers également, en étant suffisamment armés pour savoir résister au discours creux des démarcheurs d’aspirateurs en tous genres, ainsi qu’à l’invasion des vendeurs d’algues, gelées royales et autres panacées aux vertus prétendument bénéfiques. Sans compter que nous les avons bien préparés au fait que la vie n’était pas toujours rose et qu’ils ne doivent pas en attendre une succession de fêtes et de danses. Ce serait dommage de rater, entre deux passes de tango argentin, la chance de leur vie, le train de leur réussite. Tu as raison, cette correspondance-là, ils sauront l’attraper, j’en suis sûre maintenant.
— Te voilà rassurée. Mais, au fait, quelle est donc cette cruelle décision dont tu parlais tout à l’heure ?
— Oh ça, c’est simplement parce que, sur ces bonnes paroles, j’ai décidé de me recoucher, n’est-ce pas cruel de laisser la planète tourner sans moi toute une journée ? »
Comment se tenir entre ceux qui dénient le changement climatique et le réchauffement de la Terre et ceux qui poussent des cris sans rien faire de plus ? Les lanceurs d’alerte sur le climat n’ont jamais été écoutés et je me souviens encore de René Dumont, candidat à l’Élysée en 1974, qui prédisait déjà beaucoup de ce qui nous arrive et qui était plus la risée des moqueurs que pris au sérieux. On sort d’un épisode de canicule que, déjà des chaleurs excessives nous sont annoncées pour la semaine prochaine.
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Le Monde des livres égrène sa liste des « 27 livres coups de cœur pour l’été 2025 ». Évidemment, pas un livre de poésie ! Ce qui sans doute laisse la plupart des lecteurs du quotidien ou même de cette chronique indifférents. Pas moi qui ne cesse de répéter de semaine en semaine que la poésie ne peut qu’aider à vivre et à se libérer des craintes et des oppressions. Son absence dans les recommandations d’un quotidien de référence comme Le Monde ne fait que souligner à quelle marginalité elle est tenue jusque par les milieux culturels et médiatiques.
La liberté, c’est le thème du Printemps des Poètes 2026. Certes, il est nécessaire de la porter toujours, mais franchement, le choix manque singulièrement d’originalité et je crains déjà la publication d’une kyrielle d’anthologies de la liberté qui ne feront que reprendre des textes déjà connus et libres de droits pour que cela coûte le moins possible.
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Ce samedi, nous sommes allés nous promener aux Tuileries pour voir la vasque des JO de 2024 qui y est installée de nouveau jusqu’au mois de septembre. Nous n’étions pas là l’an dernier durant les Jeux et n’avions fait que les suivre de loin. Le rappel qui en est fait avec l’installation de la vasque et son élévation dans les airs chaque soir est sympathique. Il y a quelque chose d’un peu magique à voir cette boule lumineuse se promener au-dessus du Paris estival.
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Lecture de l’adaptation en bandes dessinées de la série de reportages publiés en 1995 par Annick Cojean dans Le Monde, Les Mémoires de la Shoah, pour lesquels elle obtint le prix Albert Londres. Annick Cojean y rencontrait des survivants des camps, des enfants de ces derniers, mais aussi des descendants de dirigeants nazis. Une plongée dans une mémoire difficile, dont les lecteurs que nous sommes ont du mal à comprendre la charge douloureuse qu’elle porte. Douleur des uns, déni effrayant de certains autres, il y a là des traumatismes que seule la parole peut aider à supporter. Et cet album affirme aussi la nécessité de la transmission quand ce qui avait conduit Annick Cojean à se pencher sur cette mémoire demande plus que jamais de la préserver auprès des jeunes générations.
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Je me réjouissais la semaine dernière de voir fleurir de nouveau des billets dans Grains de sel. Fausse joie ! Rien ou presque cette semaine depuis ma dernière chronique… Reste à espérer d’autres souvenirs pour la collecte l’APA et moi et des récits de vacances riches en images et autres anecdotes.
La chaleur a baissé un peu. Mais elle reste élevée et fatigante. Hier matin on a eu le sentiment de respirer un peu mieux, mais ça n’a pas duré, on a le sentiment que la chaleur s’est infiltrée partout. Ainsi, la maison se réchauffe peu à peu malgré ses murs épais, malgré le soin que l’on prend à gérer fenêtres et volets pour tenter de laisser entrer un peu de fraîcheur le matin, à organiser des courants d’air, à tout fermer dès que le soleil bascule d’une façade de la maison à l’autre. Il n’y a guère que la cuisine au rez-de-chaussée et le hall d’entrée qui restent à peu près frais. Qu’est-ce que ce doit être pour les maisons récentes aux murs plus légers ou aux toitures moins isolées ? Et la pluie, pourtant annoncée depuis plusieurs jours, se fait attendre…
On bouge peu du coup. Lectures. Écritures. Quelques bons films aussi ces derniers jours au cinéma, qui a l’avantage d’être au bout de la rue et d’avoir une salle, non climatisée, mais bien isolée et donc qui reste fraîche.
J’ai bien aimé Au rythme de Vera qui relate l’histoire de Vera Brandès, une toute jeune femme qui s’était éprise de la musique de Keith Jarett, entendu dans une boîte de nuit et qui s’est démenée pour organiser le mythique Köln concert de 1975. Un peu vibrionnant, mais c’est le sujet qui veut ça, ce sont bien les rythmes de Vera. C’est un document intéressant d’autant que sont présents en arrière-fonds les débats politiques et sociétaux qui traversaient l’Allemagne dans ces années-là. Un point m’a gêné toutefois. L’actrice, pourtant assez convaincante, a 29 ans. Ça ne colle pas avec la gamine de 17-18 ans qu’était alors Vera. Certaines scènes où on la voit à l’école avec ses amies frisent le ridicule, de jeunes adultes en lieu et place d’ados de première ou terminale, ça fait bizarre. Il doit bien y avoir en Allemagne de jeunes actrices débutantes qui auraient pu se révéler au travers d’un rôle comme celui-ci.
Et j’ai été très séduit par un film assez étrange par bien des aspects, Life of Chuck. La première partie intitulée Acte 3 décrit une Amérique et un monde de fin des temps, rongés par la crise climatique (la Californie s’est détachée du continent et a basculé dans l’océan !). Apparaissent soudain partout des affiches remerciant un certain Chuck qui aurait offert au monde « 39 années de bonheur ». Les deux parties suivantes évoquent la vie d’adulte et l’enfance de Chuck, elles montrent la richesse d’une existence ordinaire, une vie qui, comme celle de tout un chacun « contient des multitudes ». Celles-ci s’expriment notamment au travers de magnifiques séances dansées, que ce soit par Chuck adulte en comptable cravaté et dansant ou par Chuck enfant lors de la fête de son école. Ce film peut dérouter par sa construction antéchronologique, par les présupposés philosophiques, voire vaguement mystiques sur lesquels il repose, mais c’est un super plaisir de cinéma, d’acteurs, de rythme et de mise en scène.
À part cela on a bien avancé dans l’organisation de nos vacances (enfin, vacances ! Façon de dire pour ces vacanciers permanents que nous sommes, nous les retraités. Il serait plus juste de dire simplement « période estivale »). Nous avons cadré les diverses sous-périodes. D’abord Paris, où nous partons demain, notamment pour voir nos petits-enfants qu’on verra peu cette année, car ils s’envolent le 20 pour un bon mois à Taïwan pour visiter leurs autres grands-parents ; puis en Bretagne pour profiter de l’océan et, on le suppose, d’une certaine fraîcheur ; puis retour ici pour accueillir notre fils cadet et sa compagne qui passeront quelques jours chez nous à l’issue d’un séjour montagnard dans les Pyrénées ; fin aout un petit voyage Terres d’aventures pour nous, randos et navigation dans l’Adriatique ; début septembre, quelques jours chez une amie dans le Médoc forestier vers la pointe de Grave…
Ici aussi la saison touristique se prépare. Le beffroi a été dégagé du chantier qui l’entourait. Hier le marché a pu de nouveau profiter de la totalité de son emplacement habituel. Et l’énorme grue qui était installée devant chez nous a été démontée. La réfection de la partie haute du beffroi est achevée ainsi que la reprise des toitures. Les cloches ont été remises, mais pas encore les horloges. Et donc, la reprise de la sonnerie des heures n’est pas encore pour tout de suite. La seconde phase des travaux sera effectuée à partir de l’automne. C’est plaisant de voir la lumière du soir éclairant la place et le beffroi en partie rénové, même s’il reste entouré d’échafaudages en prévision de la reprise des travaux…
J’écris en écoutant le groupe turc Grup Yorum qui lutte depuis des années contre la répression dans son pays. En 2021 deux de ses membres sont morts après une grève de la faim sans retour. On a déjà oublié cela et la dictature d’Erdogan a peu d’échos chez nous tant on se laisse distraire par les infos qui s’accumulent. La canicule nous assaille et met à mal nos organismes. Quelques jours de cette chaleur et on se sent lourd, douloureux. Je suis obligé de l’admettre, je suis vieux alors que j’ai encore tant d’aspirations à être jeune, actif, à vouloir aller de l’avant.
Le monde fond du fait du réchauffement et de notre indifférence.
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La vieillesse c’est à croire que ce n’est pas son affaire. J’ai regardé le documentaire consacré à Michelle Perrot sur France 5. Extraordinaire ! Extraordinaire que la jeunesse de cette dame de 97 ans, que la vivacité de sa mémoire et de son propos. Filmée Dans l’intimité des chambres de Nohant, elle raconte son parcours de femme et d’historienne et délivre une leçon de sagesse sans jamais rien abandonner de ses convictions.
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Le week-end nous a conduits à l’Opéra Bastille pour voir le ballet La Belle au Bois dormant tel que l’avait chorégraphié Noureev. J’appréhende toujours ce genre de spectacle. Non pas que cela ne m’intéresse pas, mais j’ai du mal à entrer dans de telles dynamiques. La danse, elle est dans mon existence, plus que je ne la réalise parfois. Elle y fut de plain-pied avec ma première compagne passionnée de danses latino-américaines. Elle y fut souvent avec la mère de mes fils, qui pratiquait la comédie musicale. Elle y est avec JDS, qui a une passion pour la danse classique.
Il me faudra un jour prochain m’attacher à exprimer cet art par la poésie. De même que celle-là fait dire aux mots des choses pour lesquelles ils ne sont pas destinés, la danse fait faire aux corps des mouvements qui ne lui sont pas naturels. Elle leur imprime des courbes, des torsions, des équilibres qui disent une autre perception de l’espace. Le monde de l’opéra a ses codes et ses rituels. Je les connais mal, mais j’apprécie de voir les danseurs mouvoir leurs corps avec cet art improbable, si exigeant et ne le laissant pas paraître.
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1972, vacances d’été, je suis au fin fond des Gorges du Tarn dans l’atelier d’un potier qui deviendra un de mes plus grands amis jusqu’à sa disparition. Un de ces grands frères qui ont accompagné ma vie et que je n’oublie pas malgré leur disparition progressive. Dans cette cave encombrée, chargée d’outils, mon ami me fait écouter sur un Teppaz poussiéreux les derniers 33 tours d’un chanteur à la carrière encore jeune. Jacques Bertin. Une voix, une œuvre qui ne me quittera plus désormais. L’homme n’est pas commode. Militant convaincu, il n’a jamais fait aucune concession au show-biz et n’est apparu que quelquefois sur le plateau du Grand échiquier à l’invitation de Jacques Chancel. Les éditions EPM viennent d’avoir la bonne idée d’éditer une intégrale de ses albums en deux coffrets de cinq CD et ils m’accompagnent depuis plusieurs jours. Rien que l’énoncé des titres des chansons est souvent un poème. Une œuvre rare et méconnue.
J’ai passé la soirée de vendredi avec un sourire béat affiché en quasi-permanence, et par les temps qui courent, ce n’est pas fréquent. La raison ? Je regardais pour la énième fois un de mes films favoris, Les Demoiselles de Rochefort. Tout le monde le connaît, je n’ai pas besoin de vous le raconter ; j’ai juste envie de dire pourquoi il me ravit.
(Soit dit en passant, le film date de 1967, ça veut dire qu’il aura bientôt 60 ans… avec seulement, à mon sens en tout cas, un très léger parfume de désuétude.)
D’abord c’est que j’aime les comédies musicales, et je ne vais pas vous faire la liste de mes préférées (ou bien si : West Side Story, Chantons sous la pluie, Chicago, Starmania…). La musique de Michel Legrand est merveilleusement joyeuse et entraînante, les chorégraphies superbes. On en apprend toujours, et maintenant seulement j’ai appris que c’est Jacques Demy lui-même qui a fait les paroles des chansons : à part quelques touches de mièvrerie, chapeau. Du côté des assonances et des jeux sur les mots, il me fait penser à Nougaro, et ce n’est pas là un mince compliment. Il a fait également les dialogues de la scène du dîner d’anniversaire, en alexandrins, s’il vous plaît.
Quant à Danielle Darrieux, c’est elle qui chante alors que tous les autres acteurs sont doublés pour les parties chantées.
J’aime aussi le jeu avec les couleurs, qui s’étend à tous les éléments visuels : costumes, mais aussi décors des maisons, voitures, objets, produit un effet stimulant et apporté cohérence et harmonie.
Enfin j’aime beaucoup les allusions à l’univers filmique de Demy, dont le film est parsemé : Lola, Cherbourg, « une chambre en ville », etc.
Sans oublier Jacques Perrin, délicieux en petit marin peroxydé qui part « en perm’ à Nantes ». (par contre je n’aime pas trop Les Parapluies de Cherbourg, mais ne le dites à personne)
J’ai participé le week-end du 15 juin à une très sympathique rencontre avec de vieux camarades de mes années militantes en région lyonnaise au début des années 1970. Ce n’est pas la première fois que nous nous retrouvons. Cela avait été le cas déjà en 2015, nous nous étions retrouvés après le décès d’un de nos vieux camarades, j’ai eu l’occasion de raconter ce moment dans un article de La Faute à Rousseau, dans le dossier sur l’Amitié (numéro 70, d’octobre 2015). J’avais donc revu une bonne partie des participants à cette occasion, mais, pour deux d’entre eux, ce n’était pas le cas et c’était donc pour ceux-là une revoyure après plus de 50 ans !
C’est à l’initiative de Véronique G. que, cette fois encore, nous nous sommes retrouvés. Elle avait réservé un gîte dans les profondeurs de l’Ardèche, dans une étroite vallée près du village d’Issamoulenc. Le gîte, installé dans un ancien moulinage de soie, est très vaste, superbement restauré et décoré, dans un esprit très écologique : le propriétaire des lieux est venu prendre l’apéritif avec nous un soir et nous a expliqué sa démarche. La petite rivière au pied du gîte offrait de jolis trous d’eau permettant de faire quelques brasses et des petites cascadelles propices pour se masser le dos. Quelques-uns d’entre nous ont aussi fait une balade d’une grande matinée nous permettant de monter par des chemins ombragés jusqu’au plateau qui domine la vallée.
Mais l’essentiel a été le temps passé sur place, les repas autour de la longue table de la pièce principale, les apéros dans la cour et les longues discussions revisitant nos jeunes années jusque tard dans la nuit. Amusant (enfin non, pas vraiment amusant !) de voir ces vieux messieurs (8 hommes, 2 femmes seulement) parlant de leurs coups fumants d’autrefois sans manquer néanmoins de prendre leurs diverses petites pilules et ne manquant pas d’échanger sur le thème de leur divers « t’as mal où ». Une vraie assemblée d’anciens combattants ! Certains camarades ont eu des rôles importants dans la région lyonnaise au cours des années, dans des structures syndicales ou municipales, ou encore, pour l’un d’entre nous, à Paris, au ministère de la Culture. Un autre a travaillé toute sa vie dans l’économie sociale et solidaire et s’occupe encore aujourd’hui d’une foncière rurale solidaire dans l’Hérault.
Les échanges étaient riches et émouvants avec l’évocation de ceux qui nous ont quittés, en particulier Gilles, qui fut maire écologiste du 4e arrondissement de Lyon dans l’équipe de Gérard Collomb, décédé l’an dernier, mais qui était très malade et diminué depuis plusieurs années. Sa veuve était présente et ce week-end, même si ce n’était pas explicitement dit, était aussi un moment à sa mémoire.
Pour ma part j’ai posé des jalons pour un vieux projet auquel je pense depuis des années. Je vais interviewer dans la longueur un de nos camarades qui a eu un parcours militant exceptionnel. Aucun d’entre nous n’a renié les principales valeurs qui ont été à la source de notre engagement et c’est heureux. Mais et, c’est en tout cas mon cas, nous n’avons pas tous continué à les incarner au travers d’une action concrète, avalé par la vie de famille ou nos activités professionnelles. Jean lui, avec des investissements sur des terrains qui ont évolué en fonction des moments historiques et de l’évolution de la société, n’a jamais renoncé à l’action sous des formes variées. Mon projet est donc, à partir de ces interviews, d’écrire avec lui un récit de vie que nous déposerons ensuite à l’APA pour laisser une trace de ce lumineux parcours. Rendez-vous est pris et j’irai m’installer quelques jours à l’automne dans la coopérative d’habitat partagé qu’il a créé avec d’autres dans la banlieue lyonnaise, un des derniers avatars de son activité militante.
De plus en plus souvent il se passe des trucs qui déclenchent chez moi le réflexe : ça pourrait faire un sujet pour Grains de sel…
Comme j’en ai déjà parlé dans un précédent billet, je fréquente souvent les bibliothèques. Et en ce moment, la BPI de Beaubourg étant fermée pour les grands travaux prévus au Centre Pompidou, c’est la Bibliothèque Nationale qui m’accueille. Je vais habituellement au site de Tolbiac, mais, dernièrement, je me suis rendue au site de Richelieu pour y consulter un ouvrage ne se trouvant que là. Et j’ai donc eu accès à la mythique Salle des Manuscrits…
(Soit dit en passant, je n’ai pas compris pourquoi ce volume se trouvait là et pas à Tolbiac. Il n’a rien d’ancien ni d’exceptionnel, c’est un recueil de 2011 des actes d’un colloque.)
« Le département des Manuscrits, précise la BnF dans sa présentation, tire ses origines de la bibliothèque des rois de France et conserve la plus importante collection au monde de manuscrits médiévaux, modernes et contemporains. Elle comprend de nombreuses copies anciennes, unica, textes scientifiques, manuscrits décorés et à peintures, ainsi que des manuscrits sur une grande variété de supports et de formes (xylographes, estampages notamment). »
Silence absolu. Autour de moi, des gens travaillent, très absorbés. Ils compulsent des manuscrits (des vrais, eux…) qu’ils posent sur des petits tapis de velours rouge carmin (celui très précisément des fauteuils de théâtre) fournis par la BnF. Certains ont même des formes triangulaires, également recouvertes de velours rouge, pour y ouvrir sans dommage des ouvrages reliés de grand format. Beaucoup de lecteurs font des photos avec leur téléphone, je ne sais pas si c’est permis ou simplement toléré. Étant de nature curieuse, je cherche à repérer ce que lisent mes voisins, en vain. Ma voisine d’en face regarde des trucs mystérieux sur son petit tapis ; elle a apporté un mètre ruban et elle mesure soigneusement la largeur des pages et celle occupée par le texte. Son voisin (polo blanc, cheveux blancs, lunettes fines) feuillette un grand registre dont il tourne les pages sans s’attarder, comme s’il cherchait quelque chose qu’il ne trouve pas. Le bruit régulier des feuillets tournés rythme ma lecture.
Je fais ce que je suis venue faire, mais je ne peux pas empêcher que m’envahisse un sentiment d’imposture.
Pourquoi ai-je toujours senti que je devais écrire ? Peut-être pour laisser un témoignage sur ma vie de cascadeuse, alors j’ai commencé par ça. Mais on ne devient pas casse-cou par hasard. Mon animatrice d’atelier d’écriture, Françoise Kérisel, m’a entraînée à creuser dans mon histoire et à dévoiler peu à peu le drame de ma famille. Drame dont on ne parlait pas, mais qui a pesé sur elle. Encouragée par Françoise, je dois rendre mémoire à ces fantômes qui me le demandent. Mais comment relater ce qui s’est passé il y a 80 ans quand on n’a pas vécu cette époque ? La génération qui m’a précédée s’est totalement éteinte. Trop tard pour avoir des détails.
Ma première source est le témoignage de ma mère et de mes oncles : des mots lâchés par-ci par-là. Je vais tâcher de reconstituer cette histoire longtemps résiliée, car douloureuse.
En 1931, Angelo Gotti, mon grand-père maternel, avait fui le fascisme pour travailler dans les mines de ciment à Saint Martin le Vinoux, village de l’Isère. Il avait 3 fils et 2 filles. Arrivés en France, les Italiens devaient se montrer discrets. On les traitait de macaronis et de fascistes, un comble ! On peut devenir taiseux pour bien moins que ça et ils le devinrent.
Pendant la guerre, grand-père avait été chargé de surveiller les prisonniers allemands dans le bâtiment proche du nôtre. Notre famille cultivait 3 jardins. Il y avait des lapins, des poules, des chèvres et des canards. Ma mère était chargée de porter des paniers de nourriture aux résistants cachés plus haut dans le maquis. Un ami à elle s’y trouvait.
C’est ainsi que, le 11 août 1944, en fin d’après midi, elle grimpa sur le Mont Jalla accompagnée de Geneviève et Georgette Piccolo, les filles de mon futur géniteur dont elle avait la garde. Mon oncle François les accompagnait, mais il décida à un moment de redescendre seul. Bien lui en prit. Ma mère continua sa montée avec les fillettes. Sur le chemin elle sentit avec son pied une sorte de fil de fer. Il déclencha l’explosion de la mine antipersonnel. Giovanina avait 18 ans, Geneviève 11 et Georgette, 6 ans. Mon oncle Joseph, qui revenait du travail, avait vu du bas de la vallée, le feu de l’explosion. Il ne se doutait pas que sa sœur et les fillettes en étaient victimes. Ma mère racontait qu’après l’explosion, elle avait entendu crier les petites, puis plus rien. Elle avait passé la nuit à serrer son bras coupé pour ne pas perdre tout son sang. La famille ne s’était inquiétée qu’après le couvre-feu de ne pas les voir revenir.
Tôt le lendemain matin, mon grand-père monta avec des voisins sur les lieux pour découvrir le massacre. Mes demi-sœurs n’avaient pas survécu : l’une, le pied arraché, et l’autre, gisant en contrebas. Un trou subsiste encore sur ce lieu maudit.
Ma mère a d’abord été hospitalisée à Grenoble. Dans l’explosion elle avait perdu un bras, un œil et un sein. L’autre œil était quasiment aveugle. Son corps était parsemé d’éclats bleus. Mon grand-père lui apportait du « lait de poule » pour la fortifier. Après, elle a été envoyée à Lausanne en Suisse, pendant six mois. Elle a heureusement récupéré une partie de la vue de l’œil épargné.
La seconde source, qui vient confirmer la première, est un livre écrit par Jacques Rolland, fils d’un résistant de Saint-Martin le Vinoux.* dont voici un résumé :
« Le village avait été bombardé en mai et en août 1944 par l’aviation anglo-américaine qui avait raté sa cible : la gare de triage. Cinquante-deux civils furent tués à cause de ce manque de précision. Et sur le Mont Jalla, lieu du drame familial, cinq résistants ont été tués lors d’un combat contre les Allemands. Ils avaient reçu l’ordre d’attaquer les positions ennemies au mois d’août 1944. Pour avoir défendu notre liberté en juillet et août 1944, sont tombés : le lieutenant de Quinsonnas, Lucien Mirande, Eugène Pichot, le Caporal Jean Lamorlette et Jean-Pierre Barbieri. »
Et j’y ajoute : Geneviève et Georgette Piccolo.
C’est mon parcours sur les chemins de Jean-Jacques Rousseau qui m’a mystérieusement menée au cœur de ce drame*. Le philosophe avait foulé ce sentier du Mont Jalla en 1768. Avec le concours du Comité européen Jean-Jacques Rousseau de Genève, nous avons fait renommer ce chemin en Promenade Jean-Jacques Rousseau en 2018.
Grâce à l’Association Rousseau de Montmorency, j’ai pu rendre un hommage public à mes sœurs lors d’un exposé sur La Liberté selon Rousseau au Panthéon.
Dans le cimetière de ce village martyrisé, demeure inscrit sur une tombe : « Geneviève et Georgette, mortes pour la France. » La boucle est ainsi bouclée de la triste histoire de mes sœurs et de ma mère. Et mon devoir de mémoire accompli. Paix à leur âme.
*Résistance et mémoire des rues à Saint-Martin le Vinoux par Alfred et Jacques Rolland.
J’ai entendu parler de l’APA par Simone, ma belle-sœur. Elle disait combien elle avait trouvé d’intérêt, d’amitiés… et de travail en entrant dans l’association et en participant de plus en plus à son organisation.
Je suis venue assister à certaines réunions, j’ai adhéré, ça s’est fait petit à petit. Peu à peu j’ai rencontré certaines personnes, sympathisé, réfléchi, et apprécié surtout l’atmosphère chaleureuse et simple des moments communs. Comme je l’ai dit lors d’une rencontre autour des déposants, il me semble que c’est l’« essence » même de l’activité entreprise qui induit cette ambiance d’intelligence, de bienveillance, de modestie et de sérieux.
L’idée de cette « lecture empathique », le respect qui entoure les documents déposés, les échanges avec ceux qui les ont produits, le désir de leur donner une « visibilité », tout cela serait impossible sans l’élan qu’on ressent à l’APA. D’une certaine façon, chacun est au service de cette matière fascinante, la vie des autres et leur témoignage, avec enthousiasme. Je suis frappée aussi de la longue vie de l’APA, de tout ce qui a été exploré, travaillé, la masse énorme de documents et de recherches, de réflexions partagées.
Quand il m’est venu des idées, bien souvent, elles avaient déjà été exploitées, c’est un peu intimidant, ainsi que les compétences de beaucoup de ses participants, compétences que l’on devine — on est loin de prétentions universitaires.
Je ne peux pas faire un catalogue exhaustif de mes participations, je vais plutôt raconter deux épisodes qui m’ont marquée :
La grue Titan
En juin 2016 à Nantes, les Journées ont été vraiment une belle expérience. J’ai en particulier un vif souvenir de la visite des chantiers navals, guidée par un ancien ouvrier. C’est tout un monde qu’il faisait revivre, avec une érudition et une précision technique remarquables : la passion du travail dans sa variété, l’identité ouvrière. J’ai beaucoup aimé aussi un film autobiographique de Pierre et Dominique Laudigeois sur les vacances familiales aux Sables-d’Olonne, Il était trois fois et le débat passionnant qui a suivi sur l’histoire de leur famille.
En 2017 – 2018, à l’occasion du cinquantième anniversaire de Mai 68, j’ai participé à l’élaboration, l’écriture et l’édition du Cahier Mon Mai 68. Le petit groupe que nous étions a vraiment fonctionné avec plaisir et efficacité, dans des conditions pas si commodes : nous n’habitions pas tous au même endroit, il a fallu utiliser beaucoup internet, ce qui, pour moi était en partie un apprentissage. Vérifier aussi que rien ne remplace les moments où on se retrouve « en vrai » et où les échanges et les réflexions communes ont une autre saveur et sont bien plus aisés. Nous nous étions déjà partagé des documents ramenés d’Ambérieu lors d’une rencontre préalable. Les lire, choisir les passages qu’on citerait, entrer en relation avec leurs auteurs, c’était le travail préalable. Mais il fallait aussi construire un cahier qui refléterait autant que possible la diversité des expériences vécues, qui résonnaient souvent avec nos propres souvenirs, et le récit de ces quelques semaines mémorables. Je voudrais saluer un des déposants, Jean Simon, un ancien syndicaliste qui à 95 ans, me répondit par mail, dans la journée, lorsque je le contactai… et à qui je racontai mes propres souvenirs…
Avec énergie, nous nous étions donné un défi : le proposer terminé au moment de l’anniversaire, en mai 2018, et cela fut fait !
À part quelques participations à ce blog Grains de Sel , je n’ai pas beaucoup écrit de textes autobiographiques. La lecture du livre de Philippe Lejeune : Écrire sa vie m’a bien aidée à percevoir de quel genre est ce travail, souvent commandé par une nécessité intérieure, mais qui transcende cette intériorité, qui témoigne d’expériences communes, d’un temps partagé, d’une histoire menacée d’effacement. Mais je bute sur la difficulté — non pas tellement de parler de soi — mais surtout de ses proches. Comme si leur histoire leur appartenait trop pour que je la raconte.
Cependant, à l’occasion de mes rencontres amicales avec mes anciens collègues des équipes de pédopsychiatrie, de nos échanges de souvenirs professionnels, et devant l’incroyable transformation de cette discipline sous la pression de la clinique anglo-saxonne, il me vient l’idée qu’il faudrait témoigner.
Témoigner d’une époque où on était moins écrasés par l’afflux de jeunes patients et où les moyens humains n’avaient pas été drastiquement diminués, où on pouvait travailler en réseau. Témoigner de la modification des tableaux cliniques. Témoigner surtout d’une pratique où la psychanalyse apportait sa vision souvent pénétrante (parfois abusive ?), où la thérapie institutionnelle donnait au travail des équipes une liberté et un enthousiasme porteurs de vie.
La difficulté de ce retour en arrière, c’est que je vois aussi où j’ai pu me tromper, m’illusionner, autocritique nécessaire dans cette rétrospective. Dire aux jeunes professionnels « c’était mieux avant » serait la preuve d’une idéalisation un peu niaise, au service d’une vision partielle dont j’ai appris à me méfier… même si ce qui l’a remplacé me semble encore plus discutable. Bref… un gros travail !
Ce n’est pas la première fois que ça arrive, ce n’est pas que je n’ai rien à écrire, mais je ne sais par quel bout saisir le fil de la pelote pour la dévider. Depuis deux jours, je mets en ligne les nombreux billets envoyés par les amis après une période peu nourrie et je ne me décide pas à prendre ma propre plume pour ma chronique hebdomadaire. Je sais, on me dira que je n’ai pas d’obligation, que je ne suis pas tenu d’être au rendez-vous. Mais je l’aime bien ce rendez-vous et je procrastine déjà bien assez pour ne pas lui être fidèle. Et puis c’est une discipline, une façon de me mettre face à moi-même chaque semaine. Il y a le journal au fil des jours, mais lui est plus irrégulier, parfois très bavard, parfois en retrait. Quand j’étais hospitalisé, j’ai écrit quotidiennement, parfois à plusieurs reprises. Quand je suis revenu chez moi, plus rien durant tout un temps comme si je voulais oublier cette courte période.
J’ai commencé par me reposer, mais je me suis très vite fait rattraper par les chantiers d’écriture, par les rendez-vous avec l’APA : ce blog, le comité de rédaction de la Faute à Rousseau, un futur cahier thématique après la collecte des souvenirs de maisons, etc. J’arrête là, on va croire que je cherche à me faire plaindre ou louanger et je me sentirai ridicule.
La grande affaire de la semaine dernière, c’était le rendez-vous annuel place Saint-Sulpice pour le 42e Marché de la Poésie. Chaque jour, malgré la chaleur accablante, j’y ai retrouvé des amis, j’y ai fait des rencontres et j’y ai découvert des livres forts et porteurs d’une poésie qui va de l’avant. Certes tout n’est pas angélique dans ce petit microcosme et je regrette avec toujours autant de contrariété l’entre-soi qui y règne. Je n’ai pas le sentiment que grand-chose est fait par beaucoup de ses acteurs pour ouvrir les cercles amicaux où ils trouvent une complicité et des encouragements agréables, mais sans aspirations collectives. Il y a sur la place, durant ces quelques jours, des centaines d’éditeurs, revuistes et auteur(e)s, mais pour beaucoup c’est autant de niches personnelles dans lesquelles ils se suffisent. La poésie ne peut s’en tenir à cela. Elle ne peut se suffire d’un confinement affectueux, de sensibilités partagées, mais exclusives.
Autre contrariété, c’est le silence médiatique auquel est tenu cette manifestation. Et je me suis fendu de mots sans équivoque sur ma page Facebook pour le dire : « Oui il fait beau. Trop pour ne pas s’inquiéter ! Mais ne mégotons pas, dans les allées du Marché, je retrouve les amis poètes et éditeurs, je découvre des livres plus que je n’ai les moyens de me les acheter, il y a le plaisir de ces journées chaleureuses.
Mais coup de gueule ! Rien ou presque dans les médias ! Qu’est-ce qu’ils font nos pros du scoop, du buzz à tout va. Pas assez rentable la poésie ? Pas assez visible ? Au lieu de monter dans les tours de la dramatisation incessante, voire dans l’infox, venez faire un tour place Saint-Sulpice. OK les poètes sont des gens de lenteur, mais ils ne lâchent rien et le monde ne se fera pas sans eux, même si vous les négligez, si vous les oubliez. L’avenir passe par eux, par les mots de leur résistance, par la durée de leurs paroles, plus que par l’effervescence futile de vos news quotidiennes qui se dévorent entre elles jusqu’à l’oubli. »
Heureusement, j’ai eu l’occasion de concocter dans le même temps le sixième numéro de la revue Libres Mots que je fais avec mon ami Éric Dubois, un numéro qui a permis de mettre en ligne des auteurs d’âge et d’expressions diverses dont certains n’avaient jamais publié. On y trouvera jusque sur la couverture des passerelles avec l’APA…
Pierre Maubé
Ce soir était plus neuf que l’eau des neiges neuves,
plus vierge que la soif, plus uni que la nuit,
indemne de tout nom et de toute parole,
ce soir était premier,
Au milieu de tout cela, j’ai trouvé le temps d’aller voir The return, le retour d’Ulysse d’Umberto Pasolini qui m’a ramené à mes années d’études du grec ancien et à ce cher Homère. Un beau film très bien interprété par Ralph Fiennes et Juliette Binoche pour dire la mythologie loin du péplum et des effets électroniques. Une vision proche de l’épure parfois et à hauteur des peurs, des angoisses, de la violence et des passions humaines.
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