Chroniq’hebdo | De l’actualité, des Stones et d’un conte d’aujourd’hui

Pierre Kobel

        L’actualité reste brûlante. Intenses tractations diplomatiques pour tenter d’éviter que le conflit entre Israël et le Hamas ne s’étende pas à toute la région. Biden était à Tel-Aviv, il y a quelques jours, pour appeler à ce qui est encore possible de raison. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ceux qui ont programmé les attaques du 7 octobre savaient ce qu’ils faisaient. Pour eux ce n’est pas une guerre, c’est une partie d’échecs politique dont les victimes innocentes ne sont que des pions utiles à leurs calculs et à la communication. Profits et pertes d’une stratégie à long terme que les inconséquences de Netanyahou et consorts ont favorisée.

Toute l’émotion internationale soulevée par ces événements ne peut que perturber les tentatives des uns et des autres pour revenir à une situation plus apaisée. Les manifestations ajoutent à la déstabilisation de l’opinion publique, exacerbent les radicalismes et rendent nos gouvernements frileux.

       Je remonte dans le temps pour essayer de me souvenir si le monde a vécu des périodes de paix depuis ma naissance. Dès que j’ai été en âge de comprendre, j’ai entendu des disputes familiales à propos de la Guerre d’Algérie puis des infos quasi quotidiennes venant de la guerre du Vietnam. Je me souviens dans Match des photos horribles venant du Biafra. Chaque année un conflit s’ajoutait aux précédents ou leur succédait. Sans cesse des tensions, des heurts dans telle ou telle partie du monde et déjà le brasier du Moyen-Orient a fait souvent la une. L’agression russe contre l’Ukraine a été un choc parce qu’elle a ramené la guerre non loin de chez nous, en Europe, mais combien de pays ont été épargnés en Afrique, en Amérique latine, en Asie par des coups d’État, des guerres civiles, des déplacements de population et des massacres à grande échelle ?

Si les Américains, les Occidentaux ont su s’éviter un temps les malheurs du temps passé, ils ont été frappés de nouveau par la violence, celle du terrorisme. Un terrorisme condamnable sans appel, mais qui s’est nourri de nos politiques coloniales et postcoloniales, du vol des ressources de toutes sortes, des emprises économiques et de l’exploitation humaine, géographique, physique qu’elles signifient.

On essaie de croire encore à une paix possible, mais l’ambiance délétère dans laquelle nous sommes est au moins autant de notre fait que de celui des acteurs en guerre sur le terrain.

À quoi sert de se lamenter ? Notre avenir, c’est nos décisions, nos actions, notre détermination et la révolution que nous accepterons dans nos existences. Pour préserver l’existence de nos mômes.

*

Les Stones sortent un album avec 12 nouvelles chansons, ce qui ne s’était pas produit depuis 2005. Je me réjouis de cette nouveauté, de voir et d’entendre les Stones dans l’actualité. C’est une éclaircie rayonnante dans un ciel maussade.

       1969. J’ai 16 ans et mon oncle Jacques me donne le matériel qu’il remplace par une chaîne hi-fi moderne. Un tourne-disque et une grosse enceinte qui va avec. Je peux écouter dans ma chambre la musique qui est la mienne. Je m’achète quelques 33 tours. Les tout premiers sont le disque de Serge Reggiani avec le trombinoscope des auteurs et compositeurs au dos et un double album de standards de jazz. Les plus grands noms du bop y sont : Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk sans doute, Charlie Mingus, d’autres encore. Les fondations de ma passion pour le jazz sont là. Et aussi le Let it Bleed des Stones que j’écoute en boucle. Jusque là je connaissais bien l’univers des Beatles et particulièrement le Sgt Pepper’s. J’entre dans celui de Jagger et sa bande, je n’en suis jamais sorti. Les écouter m’aide à respirer, ils sont une passerelle vivante avec ma jeunesse, ils me conservent son énergie, son dynamisme, ils me font danser seul devant mes miroirs et aspirer à toutes les révoltes, à toutes les audaces. Ils me tiennent vivant, debout.

À écrire cela, je mesure ce que ça a de paradoxal avec ce que j’ai écrit plus haut, mais la musique des Stones par sa force, son énergie créative, parce qu’elle est un creuset d’inspirations ramène à cette volonté que je nous souhaite pour dépasser notre époque.

*

       Je suis allé au cinéma voir le film Anselm que Wim Wenders consacre à Anselm Kiefer. J’en sors bouleversé comme à chaque fois que je vois le travail de cet automne.

C’est un démiurge au plein sens du terme. Il a commencé à la fin des années 60 par tendre un miroir aux Allemands avec ses saluts nazis provocateurs qui leur disaient de ne plus se voiler la face. Au fil des décennies suivantes, il a donné à son œuvre une ampleur incroyable dans des ateliers gigantesques. Lorsque Wim Wenders le filme, déambulant dans les arcanes architecturales de Barjac, c’est un peu comme s’il nous entraîne dans le sépulcre de l’humanité. Images aussi de sa bibliothèque aux milliers de livres qui nourrissent ses créations. L’homme fait l’objet de toutes les louanges ici et dans le monde quand i lest encore sujet à l’opprobre de beaucoup d’Allemands qui se sentent insultés par son œuvre. Lui fait semblant de ne pas comprendre et poursuit son projet artistique, dupe ni des honneurs ni des hostilités.

*

        Grâce à JDS qui a insisté, j’ai regardé ce matin un documentaire Naïs au pays des loups qui raconte le voyage d’un père et de sa petite fille dans le Mercantour durant les deux années qui précèdent l’entrée de cette dernière à l’école. Nouvelle version, positive, d’un Petit Chaperon Rouge qui, sur les épaules de son papa, part à la découverte de la flore et de la faune, de « la fragile alchimie des choses ». On la voit grandir, acquérir du vocabulaire, de la connaissance, apprendre à vaincre ses peurs. Merveilleuse histoire, conte d’aujourd’hui dans la lignée d’un Pagnol, d’un Giono. Ode à la nature, à sa symbiose possible avec l’humain quand l’intelligence, le respect et la patience sont là. Souffle de fraîcheur qui redonne à espérer.

Internet

• Allociné | Anselm Kiefer

• La Croix | Naïs au pays des loups