L’impossible des mots
Pierre Kobel
À chaque réception d’une contribution pour la collecte de textes « Écrire la sexualité », je mesure ce que ce titre dit bien. Et je me fais la réflexion que je ne saurais trouver les mots pour m’exprimer sur le sujet. Pudeur ? Je ne sais… Poids de l’éducation ? « On ne parle pas de ces choses-là ! » Sans doute, mais j’ai su m’en débarrasser dans bien d’autres domaines de mon existence, alors pourquoi pas ? Je m’arrête à un blocage intime, à l’impossible des mots, à la langue de la poésie.
À ton sein
la magie
Palpitation de ma main
Peau à peau
Je t’embrasse
Odeur de notre don
Je veux nous réinventer
*
Petit gâteau de ton sein
J’invente ma main
J’invente ma langue
À la fraise de sa pointe
Feuilleté de tes baisers
Qui me dressent
Et qui m’allongent
J’ai au centre de ton corps
La mémoire légitime du monde
*
Nous nous ferons l’amour
Et les phrases de nos mains
De nos corps de nos sexes
S’inscriront sur les murs
Je boirai le vin de ta peau
*
Il y a toi
Le rire de tes yeux
L’éclat murmuré de ta voix
Les sauts de ta liberté
La vie est mon amour
J’écris pour te dire que je t’aime
Je marche dans la ville
Et j’y cherche ton œil
Ton souffle est un cœur
Ta main est une hostie
Comment dire autrement la sensualité, le désir, les corps, les caresses, la jouissance ? Comment dire ce qui s’arrête à cela et l’affect qui va avec ? Comment dire les émotions de la jeunesse qui découvre, celles des corps, celles des premières fois, celles des interdits qu’on ose balayer ?
Comment dire les mots pour ne pas se suffire des phéromones et des corps partagés, de l’immédiateté du coït, aller au-delà du désir et des gestes ? Les mots, mais plus encore l’éducation et la culture que je mesure quand, selon que les auteurs des textes reçus pour cette collecte sont des femmes ou des hommes, le dire de la sexualité n’est pas le même. Les uns expriment plus ou moins directement sa dimension physique, le désir dans ce qu’il a de plus exclusif alors que les autres s’attachent à sa dimension psychologique et affective.
Alors l’impossible des mots ? Il me faudra si possible y revenir, trouver ceux qui sont à la juste mesure de ce qu’on fait, de ce qu’on ressent et de ce qu’on exprime.
J’aime cette photo de la photographe Gladys qui, à sa façon, dit aussi des mots, avec un humour sans vulgarité.